Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 18 février 1801

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Transcription

N°3/ A madame Morand-Jouffrey, rue Saint-Dominique, n°66, à Lyon
Le mercredi 29 pluviôse an 9, à 11h du soir

[...]

Ne t'attends pas à des détails sur nos affaires, je suis loin même d'avoir à cet égard aucune idée fixe, aucune espérance fondée ; il paraît (comme je l'ai cru depuis longtemps) que le doublement du péage, c'est-à-dire sa continuation, n'auront pas souffert de difficultés ; que le reste au contraire peut en présenter beaucoup s'il faut obtenir une loi et que d'ailleurs il est trop tard pour qu'on puisse espérer qu'on aye le temps de la rendre. Tout dépend donc de savoir si le gouvernement voudra prendre sur lui de nous assimiler (par un arrêté) aux propriétaires des maisons démolies et de nous rendre commune, la loi … en leur faveur.

A cet égard j'espère avoir tous les moyens de réussir si la chose est possible et chaque jour me procure quelque nouvelle corde pour cela. Madame Safret est très liée avec M. Cretet frère du conseiller d'État auquel naturellement mon affaire sera renvoyée  par le ministre de l'intérieur lorsqu'il aura nos papiers ; hier soir j'ai passé deux heures avec lui, chez elle, il connaît beaucoup Lyon où il est souvent ; il me connaît, connaissait … mon père, s'intéresse vivement à ses projets et parla devant moi de tout ce qui s'était passé entre l'hôpital et mon père avec des détails si vrais et tant de force que je n'avais pas un mot à ajouter à tout ce qu'il avait dit. Tu vois donc que j'aurai là une bonne recommandation, M. de Chateaubourg m'y accompagnera, et Mme Safret que son état de dépérissement n'empêche point d'être bonne et obligeante ne négligera rien pour ajouter encore à l'intérêt que m'a témoigné M. Cretet . [...]

Ce n'est qu'aujourd'hui à huit heures que j'ai vu M. de Rollin . M. Périer est mort subitement, voilà Mme de Rollin qui va hériter de plus d'un million, voilà bien des affaires pour son mari . D'un autre côté il est chargé d'un rapport très long et très important sur le mode de composer ces listes d'éligibles de manière que M. Jordan et moi ne pourrons le voir que le 3 au matin c'est-à-dire dimanche, il faut cependant bien convenir avec lui et nous entendre sur la marche à prendre pour : tu n'oublieras pas de faire agir le moine et de me dire ce qu'il peut du préfet sur l'objet du conseil général et s'il croit qu'il ait encore la volonté de me servir ; tu me manderas ce qu'il en pense et je verrai de saisir la première occasion qui se présentera pour en faire parler au ministre de l'intérieur , mais tu sens bien que c'est d'abord de l'affaire la plus importante qu'il faut parler.

Comme je ne peux pas me flatter de rien faire pour ce qui me regarde, maintenant, ils auront de bien à désirer que j'eusse acquis au moins les moyens de pouvoir ensuite faire réparer l'injustice qu'on m'a faite. Je crois bien cependant comme l'autre que cela serait acheté trop cher que d'accepter une place dans les tribunaux nouveaux et alors il serait bien malheureux d'y être appelé car on ne pourrait pas refuser. On prétend que le premier consul a été très piqué de l'opposition qu'a trouvée l'établissement de ces tribunaux. Prie M. Sain de chercher dans le n°16 ou 17 de pluviôse du Moniteur des observations sur ces tribunaux, et vous les lirez tous les deux avec grand intérêt, vous en pèserez toutes les conséquences et y puiserez quelques motifs d'espérance pour les gens persécutés jusqu'à ce jour lorsque vous saurez qu'il est à peu près constant qu'au milieu de tant de soins et de travaux, c'est le chef du gouvernement lui-même qui a rédigé cet article. Il se trouve dans le publiciste, le journal des débats et .

J'ai dîné aujourd'hui chez M. Allard avec Paul M. Allard et sa femme m'ont chargé de mille choses pour toi, donne de leurs nouvelles ainsi que celles de la sœur de Madame Allard à nos voisins et rappelle moi à leur souvenir. Bien des choses de ma part à M. Vitet , je ne te donne pas des nouvelles ; les lettres n'arrivent pas plus tôt que les journaux, les masques ou pour mieux dire les gens déguisés ont bien couru les rues de Paris ces jours derniers et cependant elles sont encombrées par les neiges et les glaces ; le peuple de Paris est dans la joie de revoir ce spectacle dont il était privé depuis si longtemps. J'imagine que le peuple de Lyon n'a pas eu la même jouissance mais tout cela viendra, et l'on ne parle ici que de la paix ; du renvoi de Pitt qu'on regarde comme la preuve que l'Angleterre même n'est pas éloignée de se rapprocher ; des lettres amicales de Paul Premier à Bonaparte qu'il nomme toujours son illustre ami , etc. Tout le monde enfin paraît content et plein d'espérances.

Tu rappelleras à M. Osmond en lui faisant tous nos compliments la lettre qu'il m'a promise pour me faciliter et rendre plus agréable la visite que je compte faire au ministre de la justice .

Je ne te parle pas de tous tes embarras, ni de ma mère, il est plus tard que je ne pensais ; j'ai grand besoin de m'aller coucher. Je n'ai pas trouvé ce matin . [...]

Impossible d'aller à pied, tant les rues sont boueuses ; Antoine ne serait pas reçu tant il serait crotté ; a dû acheter du bois, il fait froid ; est bientôt à sec d'argent ; fait maigre chair le matin et le soir, mais « tout cela va bien plus loin que je ne comptais ».

Je t'embrasse de tout mon cœur, ainsi que nos enfants. Adieu je vais coucher tout seul et c'est bien triste.

(Au dos, qui est aussi le recto de l'enveloppe, quelques recommandations pour laver les tonneaux).

Sur les marges des premières pages, à la suite de ses adieux : « j'embrasse bien fort Mademoiselle la Petite, de cette manière elle se laissera bien faire mais elle me dispensera de reconnaissance. Dis-moi quand Mme de Gatelier et Mme de Mathieu accoucheront. [...]

Quand tu enverras à maman , je te conseille de n'envoyer que 650#, soit à cause de nos intentions et de nos demandes, soit à cause de ce qu'elle m'avait offert pour Albine .


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