Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 17 février 1801

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Transcription

N°2/ A madame Morand-Jouffrey, rue Saint-Dominique, à Lyon
Paris, lundi matin, 27 pluviose an 9

Arrivé la veille au soir, le dimanche 26 pluviôse an 9, c'est à dire le 16 février 1801.

Je suis arrivé hier soir en bonne santé et sans accident ce qui est presque miraculeux avec des routes aussi affreuses. Je me suis couché hier à neuf heures j'ai bien dormi et suis par conséquent à moitié guéri mais ce dont je ne me guéris pas, ma tendre amie , et ce que je ressens encore davantage que pendant le mouvement de la route, c'est la peine de me trouver séparé de toi, elle est plus vive que jamais, ce qui prouve qu'une plus longue habitude de bonheur que je trouve auprès de toi ne fait que m'en rendre la privation plus sensible.

Gatelier part tout à l'heure, je serais bien chagrin de ce départ si je ne pensais à la satisfaction qu'aura Madame de le voir arriver, surtout dans l'état où elle se trouve. C'est quand on a le malheur d'être séparé de ce qu'on aime qu'on partage la peine de ceux qui sont dans la même position.

Je t'adresse cette lettre par la poste persuadé qu'elle doit quoiqu'on en dise arriver plus tôt que Gatelier , d'ailleurs je suis bien persuadé qu'il te verra en arrivant ou que tu iras voir madame pendant qu'il se reposera des fatigues du voyage.

Je vais prendre la chambre que quitte ce bon ami , elle est plus claire et plus commode que la mienne, j'aurais trouvé cependant cette dernière plus agréable cent fois, si j'avais conservé ce charmant voisinage. J'ai eu le plaisir de voir madame de Quinson et Mme Safret , je n'ai pas été content de la situation de cette dernière, elle est absolument et beaucoup plus tôt malheureusement, dans l'état qui a terminé la vie de sa mère et il est bien à craindre qu'on ne puisse jamais se flatter d'une entière guérison.

Madame de Quinson se porte à merveille et rassurée sur la santé de Lise et de son mari elle paraît passer tranquillement son temps auprès de sa sœur car je ne crois pas qu'elle sorte beaucoup. Mme Safret est logée au premier, on fait le ménage chez elle, Mme de Quinson est au second et moi au-dessus c'est-à-dire au troisième.

Paris est absolument dans l'eau par l'effet du dégel et comme nous arrivâmes bien de nuit j'eus bien de la peine à me rendre ici, … des religieuses quoi qu'il n'y ait qu'un pas.

Il est dix heures du matin je vais m'arranger dans la chambre de Gatelier à faire ma malle, ranger mes papiers et bien faire le paresseux aujourd'hui pour commencer demain mes courses parce que je … le plus pressé. Je viens de m'apercevoir seulement à présent que j'avais emporté la clef de mon secrétaire, Gatelier la remporte. Tu l'aurais fait ouvrir et je crois que tu feras bien de faire ôter la serrure et y faire faire une clef un peu plus convenable, tu te serviras en attendant de l'autre secrétaire ; j'imagine au reste que tu tiendras mon cabinet fermé toutes les fois que tu n'auras pas besoin d'y être.

Je souffris en voyage de l'idée que tu sois en route pour Machy cependant tu dis avoir eu beau pour y aller mais le retour aura été difficile. J'espère que tu auras été contente de ton conducteur, j'aime à croire qu'enfin il fera notre affaire, il parle et répond, au moins il paraît avoir le désir de contenter ses maîtres et c'est à toi à le bien former maintenant.

En passant à Châlons j'ai vu M. Corval , sa femme et ses enfants ; son frère de Paris est très lié avec Abrial [ministre de la justice : inscrit en marge] ; les … lui ont rendu de grands services tu vois combien j'aurais pu être bien servi si je n'avais pas attendu si tard. Cependant M. Corval de Châlons n'est rien encore et le ministre lui écrivit pour lui témoigner les regrets qu'il avait de ce qu'on lui avait forcé la main (voilà le revers de la médaille) il compte cependant être placé incessamment. Sur le tout j'agirai doucement et avec prudence et me mettrai en mesure pour pouvoir si l'occasion s'en présente.

J'espère recevoir incessamment de tes nouvelles, et l'envoi du conseiller d'État ; tu n'oublieras pas de faire parler au préfet par comme nous en étions convenus mais sans affectation, je m'en rapporte aux soins de sa bonne amitié. M. Rigollet est un peu parent du général Lane commissaire en chef de la garde du premier consul , je le verrai souvent je saurai si cela présente quelque moyen auprès de Bonaparte et sur le tout comme il est fort honnête et très obligeant j'étais bien aise que tu aies vu sa femme pour lui donner de ses nouvelles comme je te l'ai écrit de la route. J'embrasse bien tendrement la mère et les enfants sans oublier celui de la Croix-Rousse . Mon adresse n'a point changé et j'espère que tu l'as conservée.


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