Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 28 septembre 1800
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Que me voulez-vous, mon fils , pourquoi vous obstiner à troubler ma malheureuse existence ; vous ne pouvez vous dissimuler que des propos injurieux m'ont déterminée à quitter Lyon ; que je vous ai cédé mon logement demandé avec emportement ; maintenant vous me poursuivez dans ma retraite, vous voulez au mépris du plus saint des engagements, discuté pendant plusieurs années, me disputer un revenu que j'ai diminué à votre prière et que la loi m'accorderait pour mes droits sans considérer même ceux que me donnent ma jouissance.
Vous ne tenez dites-vous à l'aisance qu'à cause de ce qui vous entoure ; et vous voulez la procurer à mes dépends ; soyez bon père, mais soyez bon fils. Vous craignez d'affliger ceux qui ont pour vous une véritable tendresse. Ingrat, qui peut le plus aimer que ta Mère , qui peut t‘en avoir donné de plus fortes preuves, et tu l'outrages ! sûr de l'attachement qu'elle a pour toi, tu la menaces de ne plus la voir, qu'en retrouvant ta Mère dans des procédés justes ; qui pourrait croire que ces phrases s'adressent à une mère qui depuis qu'elle a été unie au meilleur des maris (mais qui n'avait d'autre fortune que ses talents et ses vertus) n'a cessé d'exposer la sienne [de fortune] par des engagements (les papiers que je vous ai laissés l'attestent) pour qu'il pût par ses talents en acquérir une à ses enfants ; à peine a-t-elle été faite, qu'elle a été assurée, ainsi que celle de cette Mère injuste à ce fils ingrat à qui ils ont donné tout, en exceptant une dot convenable pour l'établissement de sa sœur ; biens présents, à venir, meubles, bijoux pour lui procurer un Mariage avantageux (il n'a pas craint de les surprendre dans les conditions) depuis ; cette mère injuste lui a abandonné dès à présent la jouissance qu'elle s'était réservée, partie de ses meubles, sa réserve de vingt mille livres, pour rétablir l'union entre lui et sa sœur altérée par ses procédés intéressés, elle s'est ôté par ce dernier sacrifice la faculté de pouvoir donner à des petits-enfants chéris des preuves de son affection. Je ne sais quelle commission vous avez pu donner à M. Daudiffret , les lettres que je vous ai écrites sur vos injustes demandes y répondent d'avance : comment pourrai-je diminuer un revenu jusqu'à présent insuffisant. Je suis très arriérée, je dois à plusieurs personnes, je serai obligée d'emprunter (je ne sais à qui) si vous n'êtes pas exact à m'envoyer ce que vous me devez, vous craindriez dites-vous que le tableau de votre position ne put vous nuire (s'il était vrai) ce ne pourrait être qu'auprès de celui qui taxe les impositions.
Je suis vraiment très fâchée de ce que les réparations du pont aient été au-delà de ce qu'elles devaient coûter. Vous avez à vous reprocher de les avoir négligées au mépris de mes conseils, vous les avez retardées de plus d'une année ; non seulement sa détérioration a augmenté, mais il a fallu faire à grands frais en argent ce que l'on aurait fait en assignats, il vous en restait encore de la vente de la préférence. C'est vous qui avez tout dirigé, sorti de chez moi les assemblées, crainte que je n'y eus quelque influence utile à mes intérêts, cependant les miens ne pouvaient être séparés des vôtres, cette mère si injuste toujours jalouse de vous voir prospérer, ne voyait que ce qui vous était le plus utile. Vous m'avez fait il est vrai des avances. Ne le deviez-vous pas ? comme propriétaire, comme donataire, et comme mon fils , mais elles ont été faites successivement et votre fortune était suffisante en retranchant momentanément quelque chose de votre aisance, vous dites avoir emprunté à gros intérêts, M. de Gatelier lors de notre arrangement vous a prêté pendant plus de deux années une somme de douze mille livres à cinq pour cent, vous aviez deux mille quatre cents livres de votre place de judicature, qui avec ce que vous avez eu de votre père, de moi, de mon parent, vous ont fait plus de huit mille livres de rentes, ce qui ne vous mettait pas dans le cas de prendre sur celle de votre femme, vous serez dans la suite dédommagé de ces mêmes avances si souvent reprochées.
Je vous le répète, je ne puis vivre à Grenoble où tout est cher à moins que les revenus convenus pour un loyer de 600 livres, tel qu'il me convient de l'avoir, à la nourriture de ma sœur, à la mienne, à celle de deux domestiques femelles, à notre entretien je n'ai pas encore eu la faculté de soulager les malheureux, ne dois-je pas avoir celle de donner à mes petits-enfants quelques preuves de bienveillance et d'affection, vous devriez avec moi remercier dieu de ce qu'il m'a laissé de quoi vivre suivant mon état et récompensé tous mes sacrifices.
Toute ma vie, celle de votre père, ont été des exemples de courage. Je vous en ai donné pendant près de quatre ans où après avoir épuisé mes forces à implorer toute seule les bourreaux qui ont eu l'atrocité de trancher le cours d'une si belle vie, où réduite au désespoir (je n'avais pas de quoi vivre), votre tante ma malheureuse compagne me sauva de moi-même, vous étiez loin de moi, vous n'entendiez pas mes cris, vous y parûtes d'abord sensible, vous arrivâtes, mais vous ne vous occupâtes pas d'essuyer mes larmes. Vous remboursâtes deux modiques sommes que j'avais empruntées pour mon absolu nécessaire et celui de votre tante ; j'éprouvais une maladie sans avoir de quoi me soulager, vous ne fournîtes à ma dépense qu'à la suite des prières de gens d'affaires nos amis communs, vous refusâtes constamment leur médiation, et ne me donnâtes des secours qu'avec des propos offensants tenus dans la colère sans que je les eusse jamais provoqués, et ayant toujours eu pour vous et les vôtres le ton de la sensibilité.
Appliquez-vous mon fils à imiter les exemples de vos parents, dans des sacrifices pour l'éducation de vos enfants, dans votre application à faire valoir vos immeubles et augmenter le revenu de Machy qui vous a coûté si cher, et que vous avez acquis à l'insu de vos parents, à des condition si onéreuses qu'elles n'étaient pas acceptables, les réparations et agencements que vous y avez faits dans un temps où tout le monde s'exemptait d'en faire, les tracasseries de M. de Laurencin , votre arrangement avec lui, l'appartement que vous prîtes à grand frais dans un temps où les rentiers avaient la plus stricte économie, l'action que vous avez achetée (que je suis bien loin de désapprouver), voilà ce qui a pu vous faire contracter des dettes. Prenez courage mon fils , les revenus du pont dont vous commencez à jouir, que l'espérance de la paix ne peut qu'augmenter par l'aplomb du commerce, par les nouvelles plantations, celui de vos immeubles, vous donneront dans la suite, la faculté de payer vos charges, de vivre dans une honnête aisance, et payer partie de vos dettes, chaque année, les acquitter, voilà ce que j'espère.
Je n'écris pas par ce courrier à ma chère Albine , je suis trop agitée et trop fatiguée. Je ne puis passer du langage sévère à celui de la sensibilité, il m'en a coûté de l'interrompre avec vous. Votre lettre m'a fait beaucoup de mal. Elle a redoublé ma tristesse et fait passer les nuits les plus agitées. Ma santé n'est pas rétablie et le lait d'ânesse a bien de la peine à passer. Je lutte contre les infirmités que procurent le chagrin encore plus que les années, plus de débats je vous prie, faites-moi oublier le passé et qu'une correspondance de confiance et d'amitié adoucisse nos ennuis réciproques.
Ma sœur vous fait mille amitiés, nous sommes seules ici avec Auguste , Besson , votre sœur ont été passer une semaine à Fontaine pour leurs affaires.