Lettre d'Antoine à sa mère Antoinette, 2 mars 1800
Expedié depuis : Lyon
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Si je n'ai pas répondu hier, chère maman, à votre lettre du 8 de ce mois c'est que Clément devait me rendre une réponse définitive sur son départ, il paraît qu'il est retardé ainsi vous ferez bien de ne pas l'attendre et vous tirerez sur M. Desgranges 504 # qui avec les 4# de chocolat que vous me rappelez feront 508# pour solde du terme courant, vous voudrez bien expliquer à M. Desgranges qu'il me passera quittance de 508 au lieu de 504 qui sera le montant de la lettre de change.
Je ferai certainement à l'avenir tout ce que je pourrai pour être plus exact, je vous observe cependant que dans l'état de détresse où je suis et qu'il faudra bien finir par prouver puisqu'on ne paraît pas y croire, je suis étonné que vous vous plaigniez si fort et à bien des gens des retards que vous éprouvez tandis que le résultat a toujours été que vous avez reçu le montant de chaque trimestre avant l'échéance du terme. Je ne veux point me plaindre trop de la situation où m'a réduit ma facilité, mais toute la gêne que j'éprouve, toutes les sommes que je dois à gros intérêts résultent de l'arrangement que j'ai fait. M. Dorbanne est mort, indiquez-moi un homme de mérite et votre ami même qui veuille devenir intermédiaire entre nous. Je demande à rendre compte à un tiers de la position où je me trouve et il n'est pas possible qu'une bonne mère n'y ait pas égard s'il en était autrement je serais bien malheureux.
Comment se fait-il chère maman que vous me parliez de gens qui vous font des avances, si votre maladie et votre déménagement vous ont mis en arrière je ne conçois pas que mon beau-frère ne vous fasse pas ces avances, notre position ne se ressemble guère, il a eu toute la dot de sa femme comme elle lui avait été promise et moi je n'ai jusqu'à présent comme héritier et donataire que trente mille francs de dettes nouvelles qu'il a fallu faire pour suffire à toutes les rentes auxquelles je dois faire face.
Je ne pouvais pas compter sur l'état de juge, cependant cela était payé et venait en accroissement de revenus ; je ne sais pourquoi vous êtes étonnée que je me rendisse au tribunal rien n'est changé encore, mais nous touchons au moment où l'on va faire de nouvelles nominations et sûrement il y a trop de prétendants pour que ceux qui ne font pas de démarches puissent être placés ; d'ailleurs ce ne serait pas un bonheur pour moi, je ne m'abuse plus, il ne me reste que le parti d'aller habiter la campagne absolument, et ce qui nous coûtera le plus à ma femme et à moi sera de priver Albine des talents agréables qu'elle paraissait disposée à acquérir.
James est dans ce moment auprès de nous, la rache commence à reparaître et cela me fait bien du chagrin parce qu'il travaillait et qu'on en était content. J'embrasse ma tante de tout mon cœur. Je suis fâché de vous donner du chagrin, mais j'en ai beaucoup et depuis longtemps, c'est pour ne pas vous en préparer de plus grands à l'avenir que je me décide à vous en parler quoique je n'eusse pris la plume que pour vous dire de tirer sur M. Desgranges , ayant eu l'idée de m'adresser à quelqu'un de Grenoble pour vous parler, il vaut mieux cependant que vous m'indiquiez la personne que si je choisissais quelqu'un qui ne vous convint pas ; recevez l'assurance de toute ma tendresse.
6 ventôse an 8 [27 février 1800] Votre lettre, mon fils , m'a autant surprise qu'affligée, je l'ai reçue en sortant de table, elle m'a fait beaucoup de mal.
Comment se peut-il que vous me proposiez de choisir un homme d'affaire pour examiner des intérêts discutés entre nous, plusieurs années, terminés par le consentement des parties intéressées, toutes en âge de raison, et d'après la décision des jurisconsultes les plus probes et les plus éclairés : avez-vous oublié la peine qu'ils ont eue à me faire consentir aux derniers sacrifices de ce qui me restait et disposer à me réduire à un revenu modique comparé à celui que je me croyais en droit de prétendre, après les jouissances que j'abandonnais ?
Je vous fais grâce de toutes les réflexions que je devrais vous faire à cet égard. Songez qu'il vaut mieux laisser une bonne réputation à son enfant qu'une plus grande fortune, et qu'un honnête homme ne peut revenir sur ses engagements, jamais je ne consentirai à aucun changement.
Ne vous livrez point à des conseils qui vous ont déjà si souvent égarés, n'ajoutez plus à mes malheurs en troublant le repos dont je puis jouir. Craignez d'abréger le peu de jours qui me restent à vivre, que je désire bientôt terminer et d'altérer la tendresse de votre bonne mère levet .
Ne vous refusez plus de payer les 16# dus au chapelier par votre père
, n'est-ce pas à vous d'acquitter
cette petite dette ; il vous en a donné l'exemple en payant religieusement toutes celles
de ses parents quoi qu'il n'eut eu d'eux aucun héritage. Si vous persistez dans votre
refus, payez à mon