Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 15 janvier 1799&

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_31_1_1799_01_15_1.jpg
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Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey, juge du tribunal de Lyon département du Rhône, rue Saint-Dominique n° 66 à Lyon.
Grenoble, 26 nivôse

Votre lettre, mon cher fils , du jour de l'an avait excité tout ma sensibilité, la tristesse de celle qui l'a suivie m'en a aussi beaucoup inspiré, cependant avec la réflexion votre position n'est point aussi fâcheuse qu'elle vous paraît. Lorsque vous quittez votre femme et vos enfants vous pouvez trouver contrariant et ennuyeux d'aller exercer vos fonctions de juge à Villefranche. Cependant vous avez l'avantage de vous trouver chez vous à moitié route, d'en partir le lendemain à cheval, ou mieux en cabriolet, de pouvoir le renvoyer par votre domestique le même jour, qui peut vous aller retrouver le lendemain et en faire autant pour votre retour : votre dépense pour vous et pour lui ne peut être considérable pendant votre séjour à Villefranche. Ce sont les peines de l'état qui vous sont payées, l'on m'a dit que vous aviez des émoluments extraordinaires pour vos déplacements.

Je suis fâchée comme vous que vous ayez un appartement vide dans la maison de Saint-Clair. Mais c'est encore une chose fort ordinaire que dans une maison où il y a un grand nombre de locataires, il y ait quelque décompte. Dans un temps où tous les revenus de votre père passaient à payer les intérêts que nous devions, nous eûmes une partie de la maison vide. Vous pouvez vous en souvenir. C'est à l'époque de la vente de la maison du Brotteau, où je tirai parti de quelques vieux meubles pour louer deux chambres garnies ; quant à la location de Poche je pense que ce ne sera qu'un retard de paiement, ce qui lui est arrivé est infiniment malheureux. J'espère bien que cela ne peut le détruire et que dans tous les cas les meubles vous paieront le loyer.

Quant aux impositions c'est un malheur que tant de gens voudraient être dans le cas de supporter. Vous ne pouvez vous plaindre de celle de la maison de Saint Clair.

Il n'en est pas de même de l'affaire de la traille. Elle me donne les plus vives inquiétudes. Vous devriez mon fils vous décider à partir promptement pour Paris, il est bien plus aisé de prévenir le mal que de le réparer. Allez réclamer cette justice qui depuis longtemps est à l'ordre du jour. Demandez à ces sages législateurs le maintien d'une loi qui dans le temps avait été discutée, celle qui a été rendue au sujet des bacs et trailles ne peut vous regarder, vous savez que nous étions dans l'exception de l'ancien décret, je n'ai pas sous les yeux l'article mais il doit vous être bien présent puisqu'il a fait la base de vos pétitions pour l'établissement de nos/vos droits. Votre président ne différera pas pour un intérêt aussi important de vous faire remplacer dans vos fonctions de juge. Il a avec raison quitté les Suisses pour la défense de sa belle-sœur et pour accompagner son fils. Qui mieux que vous doit défendre son ouvrage, celui de votre infortuné père, votre ami vous recommandera à notre antagoniste, l'aimable Mme Marbou aura bien encore quelque bon ange pour venir à votre secours, M. de Virieux vous aidera de ses amis, de ses conseils, vous déterminerez M. Rollin à quelques démarches. Ne tardez pas mon fils de partir quel regret n'auriez-vous pas de ne pas aller combattre les malveillants que nous a valus le doublement du péage. Car il nous faut pas dissimuler que les habitants des Brotteaux, des Charpennes sont habiles à nous nuire, je ne doute point que la compagnie ne souhaite aussi votre départ, et n'agisse en conséquence.

Je suis infiniment touchée de l'indisposition de ma chère Albine . Comme elle est très avancée dans son éducation vous ferez bien de ne la laisser travailler qu'autant que cela l'amusera. Donnez-lui le maître à danser qui ne peut que la distraire agréablement, et lui faire faire un exercice nécessaire. Car je pense que cet enfant sera prématuré pour le physique comme elle l'est pour le moral. Déjà avant que je quittasse Lyon le sang lui portait à la tête. Je crois qu'il faudrait alors qu'elle mît les pieds dans l'eau et qu'elle fît beaucoup d'exercices habituellement. Quant à James j'ai aussi de l'inquiétude de la longueur du temps de sa rache, et depuis près de deux ans l'on ne m'a point accusé la réception de la fleur de pensée je n'imagine pas cependant que M. Rieussec ait oublié de vous la transmettre. Je n'ose vous dire de faire examiner si cette rache est ce qu'on appelle la rache noire, elle se prend dit-on par communication l'on la guérit à l'hôpital. Ma sœur dit que Parignui l'a eue à l'âge de notre cher enfant. Qu'il y fut mis et guéri. Elle l'a vu avec une perruque, vous savez comme il était, frais et vigoureux. Mde Desgrange a auprès d'elle une petite nièce adoptive qui a eu dernièrement même indisposition, même remède et qui est de la plus grande fraîcheur et gaieté. C'est avec la plus grande peine mon fils que je mets ce doute en avant, qui j'espère n'est pas fondé, n'en faites point part à la mère, crainte de l'inquiéter. Mais consultez quelqu'un d'éclairé qui mérite votre confiance. Embrassez pour moi vos chers petits enfants à la première vue, ne vous inquiétez point sur les objets de la fortune. Vous pouvez avec de l'économie jouir de vos rentes, quelques capitaux et diminuer vos dettes. Vos malheureux parents n'avaient pas cet avantage. Il n'en est pas de même de la santé de ce qui vous est cher. J'en suis aussi très affectée. Recevez les embrassements de votre bonne mère Levet Morand .


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