Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 26 janvier 1799

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey, juge du tribunal de Lyon département du Rhône, à Lyon.
Ce 7 pluviôse an 7

Je suis, mon cher fils , fâchée et mortifiée de l'erreur qui existe dans les baux à loyer des petites boutiques, mais extrêmement surprise que vous ayez fait à votre beau-frère la proposition de me la faire supporter. Il a dû vous écrire ma réponse à cet égard. J'y ajouterai quelques observations.

Dans les différents arrangements proposés entre nous, vous ne me les avez jamais demandés (elles ne devaient regarder que moi). Si l'erreur eut été pour une année de plus comme elle l'est de moins, vous ne m'en auriez pas tenu compte, je ne vous l'aurais pas demandé. Je n'ai pu, et n'ai dû vous céder les dites boutiques que pour le temps que j'avais à en jouir. Et lorsque mon gendre a fait avec vous le projet d'arrangement à mon insu, vous aviez cru l'un et l'autre qu'il n'y avait plus que dix huit mois de jouissance. C'est un sacrifice que j'ai fait à ses instances, lorsqu'il employa sa médiation pour terminer des dissensions que vous rendiez interminables. J'en fis de plus grands pour rétablir la paix entre vous, lui et votre sœur et vous éviter le tort de plaider contre une bonne mère.

Jetons un voile sur le passé, n'ajoutez plus à mon chagrin, causé par d'affreux malheurs qui souvent encore m'accablent je vous ai pardonné. Je tâche d'oublier. Nulle puissance humaine n'aurait pu m'engager d'accepter un moindre revenu que celui dont je me suis contentée avec tant de peine, et qui n'est que suffisant pour vivre selon mon état. Il aurait dû être plus considérable sous tous les rapports. Je me suis dévêtue, mon fils , en votre faveur, même d'un appartement que vous m'avez demandé avec tant de véhémence. Je vous ai remis avec plaisir des objets précieux auxquels votre infortuné père attachait le plus de prix ; et en m'y succédant, vous m'avez dit vous-même qu'il vous semblait que je n'existais plus. Vous qui jugez les autres, jugez vous vous-même, écoutez la voix de la justice, celle de la nature, du sentiment envers celle qui a été, qui est, et sera toujours votre bonne mère levet Morand .

Vous m'annoncez, mon fils , huit cents livres sur la somme que vous me devez, il est bien étonnant que vous ne m'envoyez pas la totalité après vous en avoir prié avec instance, un mois avant l'échéance, vous avoir dit que déjà j'avais été obligée d'emprunter. Il m'a fallu vivre depuis ce temps, devoir à tout le monde et boursiller (sic) dans la poche des mes connaissances ; je dois plus de vingt cinq louis, six mois de mon loyer à un propriétaire malheureux ainsi qu'à sa famille ; je n'aurai plus la ressource d'emprunter. J'avais promis de rendre au commencement de janvier. Je ne puis rester dans cette pénurie, ne passez par la quinzaine sans solder ce que vous me devez, et ne m'obligez pas à tirer sur vous une lettre de change. Je serai fâchée de vous mettre dans l'embarras ou vous me mettez à chaque payement.

Je manque de draps, de chemises ainsi que ma sœur, à qui j'en ai fait quelques unes que je dois encore. Je ne suis point sans inquiétude sur mon ancienne indisposition, je crains qu'il ne m'arrive ce que j'ai voulu éviter. Je crois aussi devoir aller aux eaux. Je ne puis qu'être arriérée pendant longtemps.

Vous ne m'avez point répondu mon fils sur l'affaire du pont après m'avoir jetée dans la plus grande inquiétude, allez vous à Paris ? Avez-vous reçu des nouvelles faites pour vous tranquilliser ? j'ai été voir M. Hélie qui n'était pas chez lui, Mme m'a dit qu'il se plaignait de votre silence, elle a été surprise d'apprendre les dangers que la compagnie courait de voir attaquer leur droit et privilèges, je lui ai dit que je vous avais écrit pour vous envoyer à Paris, ou vous disiez que les affaires de votre place vous empêchait d'aller. Il doit vous en écrire et je crois que si vous persistez dans votre refus, il ne serait pas éloigné d'y aller lui-même, étant dit on libre d'affaire. Si vous êtes sage, vous irez vous-même défendre vos droits. Persuadé qu'à tous égards vous réussiriez mieux que lui. Mais il vaudrait mieux qu'il y allât si vous ne voulez pas quitter vos fonctions plutôt que de laisser vos droits sans défense. Je n'ai que du et la voix de la représentation.

Vous auriez dû, mon fils , et ne le pourriez-vous pas encore, représenter aux administrateurs qu'ils feraient acte de justice envers la mémoire de votre infortuné père de vous laisser jouir encore une année des petites boutiques, que par leur construction, il a fait une chose avantageuse à la ville en lui créant une rente, qu'il n'en a pas joui l'espace de trente année puisqu'il a fallu dix huit mois pour les construire étant toutes en pierre de taille ainsi que la balustrade qui les décore, que sa malheureuse veuve a été plusieurs années sans en jouir dans un temps où cette rente lui eut été nécessaire pour sa subsistance, qu'une partie détruite par l'effet des bombes l'en ont privée, qu'elle a été obligée de donner des indemnités à des locataires, de faire des réparations aux autres, qu'elle avait en conséquence présenté une pétition au citoyen maire, en y joignant les quittances d'ouvriers étant accompagnée du citoyen Hubert (qui doit m'avoir la copie) à laquelle on n'a pas répondu ni fait droit, que n'a été payé qu'en assignat pour la plus grande partie, qu'elle a éprouvé toutes les difficultés possibles de la part des locataires qui se prévalaient de de sa faiblesse, qu'elle a été obligée d'en citer plusieurs devant le juge qu'il y a peu de temps qu'elle a fait cimenter tous le dessus e et poser de fers blancs pour l'écoulement des eaux, ce qui lui a coûté cher, qu'il n'y a eu presque que les derniers six mois qui lui aient en entier, et qu'en faisant un acte de bienfaisance envers le fils d'un des citoyens les plus vertueux et les plus tuiles à la ville de Lyon, qu'il a embelli et servi dans tous les temps, les administrateurs vous éviteraient des discussions et des pertes qui ne peuvent qu'ajouter à vos malheurs.

Vous saurez mieux que moi faire valoir toutes ces bonnes raisons. C'est le cas aussi, si vous ne l'avez encore fait, de répéter les douze mille livres qui vous sont dues par la commune du produit des bois appartenant à votre père vendu à Varpilleux, d'après l'enquête faite à la Guillotière et notre pétition présentée à leur municipalité qui avait été accueillie et envoyée à Vienne, ensuite à Grenoble, pour en faire ordonner le paiement. Peu de jours après le faubourg de la Guillotière fut réuni à la commune de Lyon tous les papiers me furent renvoyés avec une lettre qui expliquait que c'était à elle de satisfaire à cette dette. Je vous ai remis cette lettre bien en règle avec d'autres papiers. Et bien avant ce temps je vous avais invité à la répéter pourquoi négliger de le faire, après que cette affaire m'a donné et à votre tante tant de peine pour faire valoir vos droits dans des moments ou j'étais encore bien faible et ou ces démarches me déchiraient le cœur.

Je suis charmée mon fils que vous ayez été content de votre bouquet. Je vous suis obligée de l'intention où vous êtes de m'envoyer de votre vin blanc. Il sera bien reçu, mais de grâce ne vous privez de rien qui puisse vous aider à l'arrangement de vos affaires. Ma sœur vous remercie de vos remerciements elle embrasse ainsi que moi tout ce qui vous appartient. Recevez compliments et amitiés de la part de frère sœur neveux nièces et l'assurance de la tendresse de votre mère Levet Morand .


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