Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 26 août 1796
Expedié depuis : Paris
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J'ai reçu ce matin, ma tendre amie , une longue lettre de toi, tu n'en auras qu'une courte ; j'en ai reçu une d'Albine elle n'en aura point, j'aurais dû écrire à mes associés je n'en ferai rien, tout cela n'est pas trop bien ce me semble, mais Monsieur est rentré tard, vient d'écrire à sa mère , veut s'aller coucher et part demain par la galiote pour aller passer la journée à la campagne chez la beauté des beautés [Mme Coval ] elle est vraiment très jolie, j'en ai jugé, on la dit fort aimable, j'en jugerai.
J'étais bien triste et bien ennuyé depuis quelques jours et ce soir je suis bien content ; le message est arrivé au Conseil des Cinq-Cents, la commission est nommée, je n'ai pu saisir les noms de deux des membres mais je sais que Rambaud en est et c'est tout ce qu'il me faut, pourvu que quelqu'un n'en fût pas et que l'un des trois derniers en fût c'est tout ce que j'avais à désirer. Comme je vais tourmenter ce pauvre Rambaud pour m'expédier et me renvoyer à Machy car je sais qu'une fois l'affaire décidée aux Cinq-Cents elle sera sûre au Conseil des Anciens et que je pourrais bien ne pas attendre le décret pour décamper quoi qu'il m'en coûte cependant je ne donnerai rien au hasard mais je vois clairement à présent que mon séjour ne peut pas être très long et que certaines dépenses ne peuvent pas être très fortes, tu sais qu'il n'en faut pas moins tâcher d'avoir certaine chose d'Hubert , et ne pas oublier de parler à Mollin.
Vous allez manger bien du gibier et des pâtés de lièvre pendant que ces chasseurs seront chez toi, s'ils y sont encore quand cette lettre te parviendra fais leur tous mes compliments je suis bien fâché de ne pas être de la partie, je n'aurais pas sans doute partagé leur gloire à la chasse mais j'aurais bien partagé leur appétit à table.
Je vais demain à la campagne avec un mari et une femme que la Révolution a raccommodés, c'est Mais et sa chère épouse, qui vraiment vivent maintenant très bien ensemble, j'ai déjà mangé deux fois chez eux et ai trouvé chez le mari le ton de la bonne amitié.
Je viens d'écrire à ma mère pour lui rendre compte de l'affaire et de nos espérances c'est la seconde fois que je lui écris en réponse et je ne peux maintenant que lui adresser des lettres d'affaires sans cela je n'aurais rien à dire ou craindrais de trop dire.
J'avais formé le projet d'aller à Saint-Germain voir les Valsory
; hier j'ai rencontré le frère, il est à demeure à
Paris avec sa sœur et j'irai les voir après demain quant à Mme Conad
j'aurais été bien enchanté de la voir cependant je ne ferai pas le
voyage à Saint-Germain pour elle seule, je suis trop pressé de quitter Paris ; cela ne
s'accorde pas avec le château en Espagne que je faisais dans la lettre à laquelle tu
m'as répondu, mais au fond cela n'est pas inconséquent parce que Paris ne m'ennuierait
pas si tout ce qui m'est cher
y était avec
moi ; au reste je pense toujours
Je fais beaucoup d'exercice, ma chère amie , je ne crois pas me mal porter. Mes jambes ne sont plus enflées le soir, mais ne crois pas que je perde de l'embonpoint, s'il ne vient pas une forte maladie à mon aide pour dégraisser un peu je crois que je ne peux m'en flatter et qu'il faut que tu prennes ton parti sur ma graisse.
[...]
Si mon vin blanc de cerises ne vaut rien je m'en prendrai à toi parce qu'il fallait le tirer au bout d'un mois et qu'alors si tu avais lu ma note tu n'aurais pas attendu d'être dans l'impossibilité de le faire mettre en bouteille ; tu souris bien fière de ta tranquillité et je crois vraiment que tu désirerais ne la jamais troubler, mais nous ne sommes pas tout-à-fait d'accord et je ne renoncerai pas à ce qui peut t'inquiéter quelquefois, je n'ai maintenant d'autre regret que de ne pouvoir assez multiplier tes sujets de crainte.
J'embrasse de tout mon cœur James et Albine ainsi que les petits bras nus de ma petite Léo . N'oublie pas de faire faire de la mêlée avec la meilleure paille que tu achèteras et ce à mesure qu'on formera la seconde coupe de trèfle.
Je suis bien aise de te voir acheter une troisième vache, mais je
désire bien qu'on puisse arranger l'écurie qui leur est destinée. Il est près de minuit
et je vais me coucher, adieu ma bien tendre
amie
, compte sur mon
Du 10 au matin. Je me suis levé de bonne heure, ma bonne amie pour me rendre au rendez-vous et partir pour la galiote, il pleuvait et je me suis mis à fumer la pipe, heureusement je n'avais pas cacheté ma lettre hier soir et je peux causer encore un peu avec celle qui m'occupe sans cesse et m'attache seule à mon existence.
Je t'écris sur un papier furieusement tâché, je ne m'en suis aperçu qu'à la troisième page et pourvu que cela ne produise pas un obstacle de plus pour déchiffrer ma belle écriture, j'espère que tu voudras bien m'excuser.
[...]
Je suis très content d'apprendre que M. continue de servir avec zèle la République, dis-moi de quel côté il voyage maintenant, il paraît que dans cet instant il n'y aurait rien à faire auprès de ceux qui lui doivent et qui ont tous ses capitaux, la faillite est très mauvaise et personne ne peut rien en retirer dans ce moment, on espère que quelques rentrées pourront la rendre moins ruineuse pour les intéressés mais tout cela n'est qu'une espérance.
Tu as sans doute mangé de bonnes Claudes (comme on les appelle ici) il y en avait de bien belles sur l'arbre près la salle-à-manger, j'en achète quelquefois en rentrant dans ma chambre pour mes soupers et déjeuners, c'est le fruit que j'aime le mieux, mais celles que je mange ne sont pas de Machy, quant aux pêches excepté les Videlés tu sais que je n'en fais pas grand cas, j'aime mieux l'arbre que le fruit cependant je n'use pas de l'arbre non plus puisque avec ma tendre amie , avec la moitié de moi-même, il ne peut y avoir de pêché que de n'en pas assez faire.
Il paraît que le blanc rend plus qu'à l'ordinaire, cependant malgré
toutes tes espérances je ne crois pas que tu excèdes beaucoup la récolte de l'année
dernière. Il n'avait pas plu depuis que je suis ici, j'imagine qu'il fait à peu près le
même temps où tu es, cependant comme il avait plu dans le bon moment, j'espère que mon
pré de réserve et les trèfles doivent rendre cette année, as-tu suivi les … de la maison
et surtout ceux de la grange au-dessus de l'écurie des vaches, il ne faut pas oublier
que je viens d'y faire un plancher neuf et tacher d'empêcher les gouttières. Sain
est-il de retour de Vaux, titi
a-t-il fait prendre sa charrette et le tombereau que Louis devait lui faire ? Je
m'aperçois que depuis que j'ai repris la plume, je ne t'ai rien dit de très essentiel,
mais j'éprouve le plaisir de croire à ce que j'aime et cela sans plus de suite ni de
méthode que si je causais avec elle ; adieu ma bien
tendre amie
. J'espère que Rambaud
mettra
assez de promptitude dans mon affaire pour me permettre bientôt le plaisir de causer de
plus près. Mille baisers à mes enfants, je leur ai promis des