Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 22 août 1796
Expedié depuis : Paris
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J'ai eu ce matin, ma bonne amie , le plaisir de recevoir ta lettre du 16 août [...] c'est aujourd'hui le 22. Et il est tout simple que ton séjour à la campagne retarde notre correspondance, mais si nous avons le soin de nous écrire souvent cela reviendra au même ; j'ai bien du plaisir à recevoir tes lettres mais quand j'en tiens une, je l'ai à peine lue que je pense qu'il va s'écouler bien des jours avant d'en recevoir une autre et ensuite je la relis pour prendre patience.
Je ne te parlerai pas aujourd'hui de mon affaire, je ne sais rien de nouveau depuis ma dernière lettre et ce n'est pas sans raison que je craignais qu'elle ne séjournât au Directoire, cependant je n'ai pas d'autre motif de le craindre bien positivement et j'espère pouvoir m'en éclaircir demain ce qui m'a été impossible aujourd'hui malgré mes courses d'un bout de Paris à l'autre, car jamais les ministres, les bureaux et les gouvernants n'ont été si éloignés les uns des autres, ce qui n'est point amusant pour les piétons ; les voitures de place sont à 3# par heure aussi n'en ai-je pris que lorsque j'ai conduit des représentants qui voulant bien se déranger pour moi ne devaient pas au moins user leurs souliers pour me rendre service.
Comme tu l'observes ce n'est pas le moment de se passer ses fantaisies comme nous l'avons fait un instant, nous sommes moins malheureux que d'autres parce qu'il nous reste des propriétés ; mais outre les charges que nous avons à supporter je redoute avec raison celles qui vont fondre sur les propriétaires, c'est maintenant la seule réponse du gouvernement et sûrement il en usera amplement.
Tu as fort bien fait de payer la moitié de l'impôt de l'an 4, je
crains bien cependant que cela ne soit pris que pour la valeur des mandats au moment où
tu les as payés et ils ne valaient pas alors pour l'État ce qu'ils t'ont coûté ; on
a arrêté au Conseil des Cinq-Cents que les fermes de l'an 4 et même l'arriéré dû pour
l'an 3 seraient payés en numéraire ou mandats au cours et d'après cela il est bien
vraisemblable qu'on nous fera payer dans la même
[...]
Tu ne m'as point parlé de tout ce qui s'est passé à Lyon, il paraît d'après les lettres que j'ai vues dans les mains de mes députés, qu'on ne cesse de chercher d'employer tous les moyens pour forcer les malheureux habitants de cette ville à justifier des actes de rigueur qu'on est toujours si disposé à déployer contre eux. Ceux qui ne cessent de calomnier leurs concitoyens, désireraient bien les obliger à donner quelques fondements à leurs accusations, il faut espérer qu'ils n'en viendront pas à bout.
Fais-moi le plaisir de me mander où en est la petite bibliothèque, c'est-à-dire de m'envoyer la liste générale de tout ce que tu as, je prendrai ceux qui ont paru depuis et nous demanderons ensuite ceux qui te manquent s'il ne nous reste pas d'espoir de les retrouver.
[...]
Je suis bien aise que ma mère ne renouvelle pas ses injustices à ton égard et je retarderai tant que je pourrai les demandes qui me coûtent prodigieusement, mais tu verras que je serai toujours obligé d'en venir là et que nous ne l'amènerons jamais à rien de raisonnable ni de juste ; cependant dès que je ne peux rien pour son bonheur, qu'elle me laisse la paix et ne me mette pas dans la nécessité de fuir les lieux qu'elle habite, ce n'est qu'à toi qui es accoutumée à lire dans mon cœur, que je peux avouer ces choses-là, mais la conduite qu'elle tient avec moi fait mon tourment au point d'influer beaucoup et sur mon bonheur et sur ma santé. Je crois déjà te l'avoir dit, si jamais j'étais injuste pour mes enfants, rappelle-moi ce que ma mère m'a fait souffrir par ses reproches mal fondés, et mes enfants me seront toujours trop chers pour que je veuille leur causer un chagrin aussi vif.
[...]
Comme je te l'ai dit j'espère bien avec l'argent de M. Seond ne pas être obligé de fouiller de nouveau dans la poche de mes amis, il ne faut cependant jurer de rien jusqu'à ce que cela soit renvoyé au Conseil des Cinq-Cents, la présidence du citoyen P. est heureuse pour moi. M. Guieu dont tu te rappelles sans doute, a ici beaucoup de crédit et prend grand intérêt à mon affaire. Demain je sors de bon matin et je ne t'écrirai pas plus longtemps ce soir parce que j'ai bien sommeil. Mille baisers à mes trois enfants ; ils ont bien leur mérite, mais ils ont à vaincre leur timidité et à prendre un peu de tournure, il est certain qu'à cet égard les plus petits enfants à Paris sont gracieux et causants. [...] je t'embrasse de tout mon cœur.