Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 9 mars 1812
Expedié depuis : Grenoble
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Je t'écris un mot, ma bien bonne amie , en réponse à ta lettre du samedi 7, hier lorsqu'elle me parvint je terminai ma lettre à Honoré , j'ajoutai à la hâte un petit billet que James joignit à sa lettre par une enveloppe mais je ne me rappelle pas trop de ce que je t'ai écrit.
Il doit en résulter cependant ce qui est et a été depuis plusieurs jours dans ma pensée comme je te l'avais déjà écrit, que tu opéreras notre réunion à Lyon ou à Grenoble à ta volonté. Seulement décide-toi et que je sache ta marche le plus tôt possible.
Si M. de Curis vient avec vous, vous ne voyagerez pas seules mais il faudra le coucher quelque part.
S'il ne vient qu'après notre retour à Lyon, il aura la petite chambre où couche James maintenant, Léo et toi dans ma chambre en y plaçant la chaise longue.
A son égard, ce sont ses affaires à Curis qui doivent déterminer sa marche, les preuves de son attachement nous sont bien chères, mais il ne faut pas en abuser.
Ton arrangement a sûrement bien ses avantages et je l'adopte d'autant plus que je suis bien aise d'être témoin de la première entrevue des deux cousins, de voir l'effet que produiront sur Léo ces hautes montagnes vues de près.
Tu imagines bien que ce ne sont pas ces grandes circonstances qui me déterminent, mais je sens que le moment est favorable et qu'il convient à tous égards de se presser, Marie a une excellente place, mais attendra que je n'aie plus besoin d'elle, Babou veut se reposer quelque temps avant de se replacer c'est toujours une excellente fille, mais peu de tête et de santé. Quant à Marie , elle est d'une grande paresse pour se lever seulement, et un peu parleuse ; je ne lui connais que ces défaut ; sur les choses importantes je suis parfaitement tranquille ; elle a de l'esprit, et beaucoup de délicatesse, c'est ce que bien des petites choses m'apprennent chaque jour ; et ma confiance et la tienne en ce qu'elle dit et fait doivent être entières.
Elle m'a parlé de deux petits pains de sucre auxquels on n'avait pas touché, ils étaient achetés depuis mon dernier voyage et je n'aurais pas été très étonné qu'ils eussent été consommés.
La viande se payait et se paye encore chaque jour il ne paraît pas que maman doive beaucoup. Les comptes les plus forts seront ceux du pharmacien, du médecin et du boulanger.
Comme je te l'ai dit, voulant tout acquitter, j'ai pris de l'argent chez un banquier, n'apporte donc que ce qui est nécessaire pour ne pas être au dépourvu dans la route en cas d'événement. Tu ne parles pas d'amener des domestiques, il te serait bien inutile (sic), ce sont des ouvriers et des emballeurs qu'il te faudra, celui de Besson qui paraît un bon sujet sera bien un peu à tes ordres.
Il fait ici un temps affreux et des pluies continuelles, j'en suis d'autant plus fâché que j'aurais besoin de me promener ; je crains aussi que les chemins deviennent bien mauvais, j'espère que tu seras plus raisonnable qu'à ton ordinaire, au moins pour ne pas inquiéter Léo qui est bien poltronne en voiture mais enfin songez toutes les deux qu'il est inouï qu'il arrive des accidents aux voitures publiques et que je ne suis pas votre cocher.
Hier nous avons dîné chez Mad. de Saint Maurice avec les Duboys et M. Angles , j'aime beaucoup le ton de bonté et d'union qui existe dans ces deux familles qui n'en font qu'une ; les deux mères paraissent bien heureuses et doivent l'être.
Embrasse bien fort ta petite compagne de voyage, Azélie que j'irai retrouver lundi pour arriver mardi à Lyon et son bon père , je n'ai pas besoin de te dire que nous lui trouverons bien un lit si ses affaires lui permettent de venir en même temps que vous. M. de Besson , Mme Duboys , Mme de Saint-Maurice font des offres à cet égard et ce ne serait que jusqu'au moment de notre départ de Grenoble.
Les cartes sont un peu brouillées avec Mlle de Cury . L'article de l'intérêt est toujours la pierre de touche, mes amis ne veulent pas que je sois dupe, mais il m'en a bien coûté de rompre la glace, au reste cela est fait et je n'aurais pas voulu pour tout au monde t'avoir laissé à toucher la carte sensible.
Nous allons à un service que le séminaire fait célébrer aujourd'hui, celui qui termine la neuvaine aura lieu mercredi, ainsi si tes affaires et celles d'Honoré vous permettaient de partir ce jour-là pour arriver le jeudi ne vous gênez pas ; nous aurons un jour de plus à rester ici avec vous ; je t'embrasse de tout mon cœur.
Nous recevons ta lettre, ma bien bonne amie , et comme celle de James et la grande que j'écris à Honoré sont cachetées je te griffonne vite ce petit billet il ne faudrait pas que de l'affaire rien ne sortit.
Tu es préparée par la lettre que je t'ai écrite à faire sur l'objet dont tu me parles, tout ce que tu voudras, arrivez donc si vous le préférez, mais auparavant terminez tant bien que mal l'assemblée du pont. Il paraît que M. Hélie sera dans le cas de rester plus longtemps à Lyon à cause de l'arrivée de son fils qui vient de Naples et compte se rendre à Lyon.
Je voudrais bien qu'Honoré fût du voyage, car vous ne nous aurez pas longtemps et nous serons peu de jours comme tu le dis les uns sur les autres, malgré l'avis premier de M. le docteur il sera bien content de vous voir arriver, et ne sera point en peine d'Azélie qui reste en bonnes mains et que nous irons bien vite retrouver. Examine avec Honoré dans le cas où sa présence serait nécessaire à Curis s'il ne pouvait pas venir vous trouver à Grenoble peu de jours après notre arrivée à Lyon au reste je m'en rapporte à ce que tu décideras, seulement avertis-m'en pour que je n'arrête pas ma place pour vendredi.
De l'argent ma chère amie , il m'en faut et j'en emprunte laisse m'en un peu à Lyon s'il y en a. N'apporte ici que l'indispensable dans le ménage c'est moi qui dépense et toi qui économise. Malheureusement, forcé par les circonstances nous ne pouvons ni l'un ni l'autre venir à bout de ce dernier article. Je t'embrasse de tout mon cœur.