Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 27 février 1812
Expedié depuis : Grenoble
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Je t'écris un mot, ma chère amie , pour te parler de mon retour car je compte bien ne pas excéder de beaucoup le temps de mon congé, je n'ai cependant pas encore fixé le jour de mon départ mais mon intention est d'arriver à Lyon mercredi ou jeudi 5 au plus tard.
Ma mère repose maintenant une grande partie des nuits, les aliments passent, ses dispositions à se trouver mal ont absolument cessé, et je ne doute pas qu'elle ne reprenne bientôt des forces. Tout le monde en paraît ici très étonné on a toujours voulu la croire dans le plus éminent danger, quant à moi comme je n'ai jamais partagé cette opinion qu'éloigné d'elle et d'après ce qu'on m'écrivait, je ne partage point l'étonnement général.
M. de Besson lui-même revient de son erreur au point de se décider à se rendre à l'assemblée que tu auras bien voulu faire indiquer pour le jeudi 5. Je t'écrirai pour t'annoncer le jour de son départ lorsqu'il sera fixé parce qu'il doit partir en poste avec MM. Hélie et Bouffrer , ils coucheront en route, d'ailleurs d'autres raisons que tu sauras bien deviner m'empêcheront de partir avec eux mais je m'arrangerai pour partir ou au moins arriver à la même époque, fais débarrasser le second lit de la chambre de James et placer sur les armoires de l'antichambre les deux médaillons qui sont sur ce lit.
Tu trouveras, je le crois, à la glace de ta cheminée, l'adresse du
commerce de M. Bureau, et dans le cas où tu ne la trouverais pas, je crois qu'il a
toujours son petit appartement en face du séminaire, James
A 9 heures Toutes mes idées sont bouleversées, ma chère amie , maman qui est mieux en ce moment, s'est trouvée bien mal il y a trois quarts d'heures ; j'étais seul auprès d'elle nous causions tranquillement comme à l'ordinaire, lorsqu'elle a cessé de parler. Sa figure s'est décomposée, je l'ai soulevée, je lui ai fait respirer de l'eau des Carmes, Marie est arrivée ; ma pauvre maman a perdu connaissance tout-à-fait pendant deux ou trois minutes qui m'ont paru bien longues.
J'ai conservé de la force et de la présence d'esprit dans le moment et ai cru que Marie s'évanouissait aussi, elle prend dans ces cas-là un tremblement fatal et perd absolument la tête, pour moi ce n'est qu'après que j'ai senti combien cela m'avait troublé. Mlle Justine qui est montée de suite, prétend que je ne dois pas quitter maman dans la position où elle est, que mon devoir est de ne la pas abandonner, en vérité je suis dans une cruelle incertitude, je sens que ce serait pour moi un vrai chagrin d'imaginer que maman a été privée de la consolation de m'avoir auprès d'elle dans ses derniers instants, mais je ne me dissimule pas cependant que je n'ai pas beaucoup de forces morales et qu'il serait heureux pour moi à certains égards de n'être pas le témoin d'une si cruelle catastrophe.
Voilà une fin de lettre qui ne ressemble point au commencement. Plains-moi un peu ma chère amie et aime-moi beaucoup, embrasse bien tendrement nos enfants de la part de leur bon père.
Je vais porter ma lettre à la poste pour être sûr qu'elle parte ; maman repose et est très colorée ; elle a souvent la fièvre. Je ne peux voir son docteur original ni causer avec lui, j'ignore si dans l'état où elle est cette fièvre est ou non salutaire, il paraît qu'à cet égard les avis sont partagés.