Lettre d'Antoine à sa mère Antoinette, 10 avril 1808

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Lyon

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Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_35_2_1808_04_10_1.jpg
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Transcription

A Madame Morand rue Brocherie à Grenoble
Lyon, le 10 avril 1808 à 11h ½

Cachet noir.

Il attend l'arrivée de James ce jour, à deux heures. Sa mère lui en a dit le plus grand bien…

[...] … hélas la privation de mon excellente Albine se fait sentir chaque jour et à chaque instant du jour, au cœur déchiré de son malheureux père. Je m'attache bien volontiers aux jouissances qui me restent je cherche même à fixer autant que possible toutes mes idées sur ces motifs de consolation, mais je ne me dissimule pas qu'il était dans l'ordre de la nature que je dusse conserver mes trois enfants et la perte prématurée du premier sera pour moi ma peine affreuse qui peut être calmée sans doute, mais dont le souvenir amer durera autant que moi.

Dans l'état d'affliction et de douleur où vous êtes ma chère maman, il est bien indiscret de vous entretenir d'affaires pour les autres, cependant rendre service quand on le peut est sans doute une chose satisfaisante et ce sont surtout les exemples que vous m'avez toujours donnés qui ont contribué à me le persuader.

M. Rosset le fils du libraire a dû partir cette nuit pour Grenoble, l'affaire qui l'y conduit est de la plus grande importance pour toute sa famille puisque malgré toute la philosophie actuelle, il s'agit de l'honneur.

Vous avez connu, ma chère maman , M. Rosset l'ami de Mad. Vial le parent des Sain des Bruys et homme généralement estimé. Un de ses neveux a été compromis à Genève dans un assassinat ; il y a quatre ou cinq mois que l'affaire étant prête à être jugée à Genève, M. Rosset le père qui a servi avec moi, aux hôpitaux, vola au secours de son neveu et fut reçu à Genève avec distinction mais sa santé était très affaiblie depuis longtemps, le chagrin de voir une accusation de ce genre peser sur sa famille et la fatigue du voyage le conduisirent en peu de jours au tombeau. Cependant le cours de la procédure se suivit et contre l'attente générale et contre tous les principes, le malheureux Rosset de Genève fut condamné.

On s'est pourvu en cassation contre ce jugement inique et non seulement il a été cassé, mais encore toute la procédure ab initio et la déclaration du jury de jugement.

Cette affaire est renvoyée à Grenoble, Mad. Rosset que la mort de son mari a réduite au désespoir ne semble reprendre des forces que pour défendre l'honneur de la famille de son mari, elle est venue hier chez moi, je lui ai remis une lettre que son fils porte à M. Burdel , je vous prie de dire à ce dernier quel intérêt nous prenons tous à ces braves gens, malheureusement soit dit entre nous, Rosset le fils est par sa grande vivacité et un caractère tranchant peu propre à suivre une affaire aussi importante et il a bien besoin d'être dirigé et contenu. Sa femme qui est charmante est une Mlle Cathelin elle est parente de Mad. de Fontaine , et M. de Fontaine président du corps législatif et ayant le plus grand crédit, les a bien servies dans cette affaire.

C'est sans doute maintenant auprès du directeur de jury, du procureur impérial et de première instance et du magistrat de sûreté qu'il faut agir, sauf à faire des démarches ensuite quand ceux qui composent le jury d'accusation seront connus, et je souhaite bien que Mad. Rosset la jeune puisse revenir après tout de Paris pour se rendre à Grenoble, elle vaudrait bien mieux que son mari pour suivre cette affaire avec succès.

Il doit aller vous voir mardi chère maman, je vous prie de lui être utile autant que vous le pourrez et de le bien recommander à M. Burdel  ; si Besson peut le servir, j'imagine que sur votre recommandation, et d'après l'intérêt que vous voudrez bien (cachet noir) que j'y prends, il ne négligera pas de lui être utile.

Entre nous ma chère maman , je ne conçois rien à ce qu'a dit Besson relativement aux héritiers de ma tante et en y réfléchissant je ne peux croire qu'il ait eu la moindre idée de réclamer rien à cet égard ; mais cependant je vous invite de prendre conseil sur ce qu'il est convenable de faire, ce sera même me rendre grand service ou à mes enfants, car il serait possible que dans la suite cela pût donner lieu de sa part à quelques difficultés. Timeo donnat.

Quant à moi ma chère maman , je n'ai ni ne veux avoir de ces misérables prétentions et je sais fort bien que c'est à vous seule que ma bonne tante a dû le bien être et les douceurs dont elle a joui depuis sa sortie de sa communauté ; je compte vous écrire incessamment relativement à l'affaire de l'action qui va s'agiter de nouveau, et sur laquelle il sera bien important que vous me donniez d'avance votre avis et celui de M. Langlois s'il est possible ; vous allez être bien seule ma chère maman et avec des idées bien affreuses, ce n'est pas trop le cas de revoir d'anciens papiers ; c'est à vous à décider ce qu'il faut détruire, mais ne le faites pas légèrement et croyez que si j'ai le malheur de vous survivre, rien de ce qui a rapport à mon infortuné père et à ma bonne mère ne peut jamais me paraître indifférent ; je vous embrasse de tout mon cœur.


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