Lettre d'Antoine à sa mère Antoinette, 28 novembre 1807
Expedié depuis : Lyon
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Je suis bien maladroit, ma chère maman , vous ne voulez pas encore de moi et je compte partir dimanche comme je l'ai mandé à ma femme ; une certaine grande fête qui se fait partout m'a fait craindre de ne pouvoir partir que mardi mais j'espère cependant avoir ma liberté dimanche et alors j'arriverais à Grenoble lundi ; si je ne trouve pas James à mon arrivée ce sera une preuve qu'il est occupé à cette heure et je ne veux pas le déranger dans ses occupations.
Je sens bien que ma femme est beaucoup plus distraite à Grenoble qu'elle ne peut l'être à Lyon et quelque pénible qu'il soit pour moi d'être séparé d'elle, l'avantage qu'elle en éprouverait me ferait prendre mon parti ; mais c'est d'après nos premiers projets que je me décide et à raison de ce que je n'aurais pu à une autre époque obtenir quelques jours de liberté.
Rien de nouveau sur l'Empereur et d'après les vraisemblances sur lesquelles il ne faut cependant pas trop compter avec lui, je ne crois pas qu'il puisse repasser sitôt dans notre ville. Les moments que j'ai à passer avec vous seront toujours trop courts mais je vous assure que j'ai eu encore bien de la peine à arranger cela de manière à ne pas être obligé de ne faire qu'aller et revenir, du samedi au mardi.
Je suis désolé d'avoir ajouté aux peines de ma bonne amie et par suite à vos inquiétudes, en ne répondant pas exactement ; je n'avais pas cependant l'intention de lui rendre les plus mauvaises nuits qu'elle m'avait fait passer mais je ne suis pas à regretter de n'avoir pas été plus exact puisqu'en relisant avec un peu plus de sang froid ce que j'avais répondu dans les premiers instants, je me suis empressé de le déchirer ; je sens par le mal que m'a fait ce qu'elle m'a écrit au sujet de Machy et les conséquences que j'en tirais combien j'aurais ajouté à ses peines par la réponse que je lui faisais.
Nous sommes bien assez malheureux, ma chère maman , par des événements contre lesquels l'humaine faiblesse est sans pouvoir et où nous n'avons rien à nous reprocher pour vouloir ajouter à nos maux par des contrariétés qui n'ont encore jamais existé entre nous.
Reporter sur les enfants qui nous restent notre sollicitude, nos soins et nos espérances, adoucir et supporter mutuellement nos peines, c'est hélas tout ce que nous pouvons faire pour nous consoler autant que cela est possible.
J'espère ma chère maman pouvoir lundi vous embrasser très réellement et cette idée me ferait terminer gaîment ma lettre s'il pouvait y avoir maintenant de la gaîté pour votre fils , qui serait un bien infortuné père s'il ne lui restait pas James et Léo . Fixons nos regards sur ce qui nous reste et combien ne trouverons nous pas de pères et de mères plus malheureux que nous !
Embrassez mon fils pour moi je vous prie, il connaît le chagrin de bien bonne heure puisse-t-il n'éprouver jamais la douleur de survivre à un enfant.
Mon gendre est toujours un excellent homme et s'il ne vous écrit pas c'est bien dans la crainte d'ajouter à votre affliction ; il doit demain m'envoyer des nouvelles d'Azélie et peut-être des lettres s'il a eu le temps d'en écrire. A lundi matin.