Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 28 novembre 1807
Expedié depuis : Lyon
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Tu n'avais pas besoin, mère trop tendre, que j'ajoutasse à tes peines par mon silence et sûrement je n'en avais pas le projet. Dans la circonstance où tu m'avais mise (sic) je croyais que recevoir ma réponse ne pourrait être pour toi qu'une peine de plus ; je ne pensais pas que tu puisses être en peine de Léo et quant à moi, ma bonne amie , je craindrais de me trop flatter en imaginant que dans une douleur qui absorbe tout autre sentiment, tu puisses t'occuper beaucoup de ton triste et malheureux mari ; jamais cependant mon unique amie je n'eus plus besoin de retrouver dans ta tendresse la force de supporter la vie, sans doute ce que je dois à mes enfants et leur excellente conduite est bien fait pour m'y attacher, mais comme je te l'ai souvent dit, c'est à toi qu'est attachée mon existence, juge donc si je voudrais empoisonner la tienne ; je me borne à te demander du temps sur l'objet qui nous divise, car après les sujets les plus déraisonnables, les idées les plus cruelles, j'en reviens toujours à ce sentiment inaltérable, qui m'a toujours dirigé depuis que mon sort a irrévocablement dépendu du tien, et je sens qu'il me serait impossible de continuer ma pénible existence si j'avais le malheur d'ajouter au tien.
Je conviens, ma bonne amie , que je suis loin d'être préparé au sacrifice que tu veux exiger de moi, que d'en parler même est au-dessus de mes forces et m'occasionne des mouvements d'impatience dont je ne suis pas le maître et qui sont une suite de mon malheureux caractère que la douleur ne fait peut-être qu'aigrir encore ; mais enfin je ne m'occupe dans cet instant que de l'idée de me retrouver près de toi ; peut-être eût-il mieux valu supporter encore notre séparation pour te laisser fortifier un peu un courage dont tu as tant de besoin, par des distractions que tu ne peux trouver en rentrant chez toi, c'est l'avis de ma mère qui aurait bien désiré par les mêmes motifs, de te garder plus longtemps et me voir plus tard. Mais tu ne m'as pas parlé dans le même sens et je profite de quelques jours de congé pour t'aller chercher ; je compte partir par la voiture de dimanche et arriver lundi matin ; je ne sais à quelle heure elle arrive à Grenoble dans cette saison mais je te prie bien de ne point te déranger et de ne pas t'inquiéter si elle retarde plus qu'à l'ordinaire puisqu'à tout instant les mauvais chemins peuvent ralentir sa marche.
Léo se porte bien, ne tousse presque plus ; je vois bien que le voyage de Grenoble lui eût fait grand plaisir, mais elle n'y a jamais compté ; elle est très contente d'aller chez Mad. de Montherot et sois bien sûre que s'il y avait eu du doute à cet égard je n'aurais pas hésité à la mener.
Embrasse ton fils pour moi, j'aurais bien des baisers à te rendre, si je te donne tous ceux que ma bonne petite compagne me donne pour sa maman , encore une fois ma chère amie songeons à ce qui nous reste nous ne pouvons plus vivre que du présent et de l'avenir. Tout affreux qu'est le passé nous ne voudrions ni l'un ni l'autre en perdre absolument le souvenir, mais il faut que le courage, la raison et le besoin que les autres ont de nous, ne nous le fasse envisager qu'avec résignation et attendrissement. Adieu mon excellente amie .