Lettre d'Antoine à sa mère Antoinette, 4 novembre 1807

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Lyon

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Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_35_2_1807_11_04_1.jpg
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Transcription

A madame Morand rue Brocherie à Grenoble
Lyon le 4 9bre au soir

Lettre bleue, classée dans « Lettres de mon fils », sans dates.

Je vous remercie bien, ma chère maman , de l'attention que vous avez de me donner les consolations qu'il est en votre pouvoir de m'offrir à la distance où nous sommes, j'aurais bien désiré qu'elles eussent été plus directes et si j'avais prévu que ma femme se fût décidée à rentrer à Machy cet automne j'aurais eu l'indiscrétion, ou du moins j'aurais assez compté sur votre tendresse maternelle pour vous engager à venir passer quelque temps auprès de nous.

Je l'ai quittée lundi soir, hier la cour d'appel est restée et n'a cependant d'audience que le 24 de ce mois ; j'ai été occupé toute la journée qui est prête à se terminer car il est onze heures (pour les hospices) on attend cette nuit ou demain de très bonne heure l'archi chancelier que toutes les autorités doivent aller complimenter. Tout cela me retient ici et je suis bien en peine cependant de l'état où est ma femme  ; c'est James qui me remplace auprès d'elle. La différence qu'il y a c'est qu'il couche dans l'un des lits de la chambre que vous jugez bien que nous avons pris, au lieu que j'ai toujours couché avec ma femme , je sens tout le mal que cela me fait, mais comme je crois que j'apporte quelque soulagement à ses maux je ne pourrais ni ne voudrais m'éloigner d'elle pendant la nuit où son état est plus pénible. Je ne l'avais encore quittée qu'une seule nuit voici la troisième et certainement, que le prince arrive ou n'arrive pas, je compte l'aller retrouver demain au soir.

Tous les projets de voyage ont été mis de côté, jusqu'à présent, mais, comptant bien sur votre empressement à venir à notre secours, je tiens absolument à ce qu'elle accompagne son fils et aille passer avec vous quelque temps. Je l'irai prendre à la fin de ce mois, et pendant son absence Léo me tiendra fidèle compagnie. Cette enfant est pour moi d'une bien grande ressource. Et obligé par raison de vivre encore longtemps séparé de mon fils que deviendrais-je sans cette aimable petite. Elle est loin d'avoir la facilité et l'instruction presque naturelle de …al maman je ne peux pas la nommer, mes pleurs saignent mon papier et moi qui suis courageux et presque dur quand je suis près de ma femme , je n'ai pas plus de force et de raison qu'elle quand je peux me livrer à ma douleur sans craindre d'ajouter à la sienne.

J'ai été obligé de m'interrompre un instant car j'ai le malheur de ne pouvoir pleurer sans des douleurs inouïes dans mon mauvais œil ; ce qui m'ôte souvent cette triste consolation. Mais je parlais de celle qui me reste , elle a un autre genre d'esprit, beaucoup de mémoire, un excellent cœur, beaucoup de naturel et ferait encore grand honneur aux soins de sa mère lorsqu'elle sera assez forte pour s'occuper de son éducation.

Azélie est à présent et depuis quinze jours environ à Machy. Elle annonce de l'intelligence, mais ce qu'il y a de sûr c'est qu'elle est bonne quoique vive et ne pleure jamais ; son oncle en est enchanté, on ne peut ajouter aux soins et aux complaisances qu'il a pour elle ; ma femme et moi avons malgré nous des instants d'éloignement pour cette pauvre petite mais cela est bien peu raisonnable ; la conduite de mon fils l'est bien davantage, elle est on ne peut plus satisfaisante pour moi et je dis à sa mère qu'elle est bonne, que de nous tous il est celui qui aimait le mieux sa sœur puisque c'est lui qui s'occupe le plus de ce qui nous reste d'elle.

Pour en revenir au voyage de ma femme à Grenoble tantôt elle y est décidée, tantôt elle s'y oppose.

Ce qui la déciderait, ce serait surtout le désir de vous revoir ainsi que ma tante , et à cet égard elle n'a cessé de manifester celui qu'elle avait d'être rapprochée de vous dans la crise où elle se trouve ; pour se séparer plus tard de son fils, pour ne pas être à Machy ni à Lyon à certaine époque si heureuse il y a deux ans, quoique bien empoisonnée pour vous et pour moi. Enfin dans l'espoir de retrouver un peu plus de tranquillité dans l'éloignement de ce qui lui rappelle sans cesse la perte affreuse qu'elle ne peut supporter.

D'un autre côté elle craint de s'éloigner de moi, de tomber malade, de quitter Léo , et de se retrouver dans un pays où il avait été question de la marier…

Je ne sais donc point encore, ma chère maman , ce qu'elle fera ; mais j'ai cru devoir vous prévenir que je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour l'engager à accompagner son fils et pour partir de Lyon le 12 ou 13 de ce mois, vous sentez que j'aurai soin de vous prévenir du parti qu'elle prendra, mais je sens qu'il serait bien important pour nous tous qu'elle y consentît ; le courage que je montre depuis longtemps est au-dessus de mes forces ; sa douleur continuelle, ses gémissements me tuent et peut-être résultera-t-il quelque changement dans son état de la satisfaction de vous revoir, et de pouvoir mêler ses larmes aux vôtres, ainsi que du changement de local. [...]

j'irai demain matin chercher quelque moyen de vous faire passer la somme quant à présent je vais me coucher mais j'ai perdu l'habitude de dormir, en en conservant le besoin [...]

Il manque la fin de la lettre, sur une feuille libre légèrement bleutée.


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