Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 15 avril 1807

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Transcription

A madame Morand de Jouffrey, rue Saint-Dominique, à Lyon
Paris, le mercredi 15 avril 1807

Il est bien agréable pour moi, ma chère amie , d'avoir déjà à t'écrire en réponse ; ta lettre reçue hier m'a fait d'autant plus de plaisir que je ne me flattais pas encore d'en recevoir et je te remercie de cette attention.

J'imagine que M. Bremond t'a fait remettre exactement ma lettre écrite de Moulins et tu as reçu celle qui t'annonçait mon heureuse arrivée. Le petit enfant et sa mère dont t'a parlé Vincent ne sont venus heureusement que jusqu'à Moulins et la petite malade a peu près de l'âge de Léo m'a plus intéressé qu'ennuyé. Ce dont j'ai été fâché mais qui n'a point eu de suites fâcheuses comme je l'ai craint d'abord, c'est que ma malle toute forte qu'elle soit, a eu les reins brisés ; je ne conçois rien à la manière dont on charge les voitures de M. Brémond mais il est inouï que cela soit arrivé. Heureusement les courroies ont bien tenu et mon linge ni mes hardes n'ont pas de mal, quelques papiers hachés mais qui ne sont pas importants, des écus qui ont été et si fortement frottés qu'on les prend pour du plomb et que j'ai la tournure d'un falsificateur de fausse monnaie, ce qui est bien honorable pour un homme de mon état, voilà tout le mal qui en est résulté. Il faut aussi se rappeler que pour envelopper il faudrait des toiles fortes et bien neuves au lieu de ces mauvaises nappes qui tombent en poussière et s'attachent aux habits qui deviennent bien difficiles à nettoyer.

Je vois par les détails que tu me donnes que tu n'as pas perdu un moment pour notre affaire ; comme à l'ordinaire la compagnie est bien heureuse que j'aie un second tel que toi sans cela avec qui pourrais-je correspondre pour les cas difficiles. Tu n'auras pas oublié ! si cela est porté au conseil municipal, M. Mayeuvre , Gatelier et M. de Laurencin pour s'assurer de M. de la Chassaigne . Il y a aussi cet ancien associé des granier qui m'a toujours paru bien disposé enfin tu auras eu la liste et te seras conduite en conséquence ; tu as sur mon bureau un almanach de Lyon relié ; j'ai emporté l'autre. Il paraît que Pernon a dû arriver à Lyon le lendemain ou le surlendemain de mon départ, j'espère que tu l'auras su et qu'il pourra t'être utile.

Pour moi, ma chère amie , j'ai été au Français, je me suis bien reposé n'ai été encore que chez la Roquette que je n'ai pas trouvé et chez Pernon qui était parti, mes hardes, mes papiers sont rangés et je suis établi dans un petit appartement au premier sur la cour où je suis fort tranquille tu vois que voilà des affaires bien avancées, mais enfin je suis sur les lieux et tu sais que quand il le faut je m'exécute. Quelques petites douleurs quelque part et suites sans doute de l'échauffement du voyage sont les seules fatigues que j'éprouve au physique et j'espère que cela passera avec le repos.

M. de Laurencin a lieu d'être étonné que j'aie si fort tardé, mais ma chère amie , pense à la position où nous étions et pouvais-je prendre sur moi de te quitter au milieu des peines que le cœur d'une mère s'exagérait sans doute et que je partageais trop vivement pour (entre nous soit dit) n'être pas effrayé quelquefois.

Embrasse pour moi ma chère Albine , quoiqu'elle soit devenue celle d'un autre, ma tendresse pour elle est toujours la même, c'est elle qui m'a fait la première connaître le bonheur d'être père et à ce titre je croirais presque avoir pour elle un sentiment de prédilection s'il m'était possible de mettre entre eux quelque différence. Ils se conduiront tous également bien et me seront toujours également chers. Ce qu'elle éprouve maintenant est si naturel que cela ne devrait lui causer aucune inquiétude ; j'espère bien quand elle sera parfaitement rétablie trouver la force de la gronder un peu du mal qu'elle s'est fait en se tourmentant ; mais il faut convenir que tout cela a été si long qu'il faut la plaindre et l'excuser ; sa mère qui a une si bonne tête, aurait peut-être éprouvé les mêmes craintes si elle eût été dans la même situation. Tu ne me dis rien d'Azélie , parce qu'elle se porte sûrement très bien il faut cependant que sa mère ne se flatte pas de l'élever sans qu'elle éprouve quelques-uns des maux inséparables de notre existence. Embrasse bien fort pour moi le mari , sa femme et leur charmant enfant . Beaucoup de baisers de ma part à Léo , c'est maintenant une grande personne qui s'empressera de se rendre utile à sa maman et de la suppléer dans les soins du ménage ; je ne doute pas qu'elle ne sente aussi l'importance de profiter des maîtres d'agrément qu'on veut bien lui donner. [...]

Je suis bien fâché ma bonne amie de laisser tant de papier blanc car j'aurais grand plaisir à le remplir, mais il faut sortir bien vite. Là comme ailleurs, craindre de faire le premier et toujours faire le second m'ennuie depuis longtemps ; de près comme de loin, et vieux comme jeune, j'aime toujours tendrement ma meilleure amie.


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