Lettre d'Antoine à sa mère Antoinette, Probablement 12 décembre 1805

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Lyon

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Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_35_2_1805_12_12_1.jpg
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Transcription

A Madame Morand Rue Brocherie à Grenoble.
Lyon le 12 7bre 1805.

S'il était décent et convenable qu'un fils grondât sa mère, je crois en vérité, ma chère maman , que je prendrais cette liberté ; hier j'ai reçu des lettres d'Auguste et Olimpe adressées à leur cousin et cousine, je les ai envoyées à Machy et rien ne m'apprit quel est l'état de votre santé et jusqu'à quel point votre courage soutient les forces dont vous avez besoin dans un aussi cruel moment. Ma tante qui a tant d'amitié et d'attention pour moi m'aurait donné des nouvelles de votre santé si vous n'aviez pas pu m'écrire, voilà la seule réflexion qui me rassure sur votre silence.

Comme je vous l'avais dit, j'avais écrit à Besson , je n'ai pas de réponse non plus et sans la lettre de M. de la Morte il y a longtemps que je serais en peine, mais elle était du 3 de ce mois et depuis je ne sais rien.

Je ne vous parlerai point encore, ma chère maman , de celle que nous pleurons, je ne peux me livrer à des idées aussi cruelles, et j'aime à croire encore possible de douter, au reste les circonstances où je me trouvais ont donné lieu à des distractions, mes occupations et mes courses continuelles servent aussi à éloigner de moi les pensées cruelles et déchirantes dont je suis persuadé que vous vous entretenez sans cesse. Je regrette bien ma chère maman que la rigueur de la saison se soit opposée à notre réunion dans ce moment je crois que vous en auriez eu le plus grand besoin.

Donnez-moi je vous prie des nouvelles de Besson et de ses enfants, je suis loin de lui en vouloir de son silence, je sens combien il doit être pénible pour lui de le rompre, mais je désire apprendre qu'occupé de ces aimables enfants il cherche à surmonter sa douleur et à conserver pour eux une santé aussi précieuse.

Je vais placer cette petite lettre entre deux mouchoirs que je vous adresse par le courrier ; pour faire profiter de l'occasion, je m'en sers aussi pour écrire ou pour mieux dire pour répondre à M. de La Morte et à M. Morand je vous serais obligé de vouloir bien les leur faire remettre.

Un de ces mouchoirs, celui qui est brodé m'a paru très beau et d'une bonne exécution pour la broderie ; j'espère qu'ils vous parviendront à bon port et vais les arranger entre deux cartons comme on me l'a recommandé.

J'ai quitté mardi, Machy, James y est encore resté et je suis seul à Lyon ce qui ne m'amuse pas surtout à présent car malgré mes occupations il y a des moments où je suis tout-à-fait livré à moi-même et alors ce ne sont pas les idées gaies qui se présentent à notre imagination.

Le projet de ma femme est de ne revenir que le lendemain du jour de l'an, mon gendre serait bien d'avis de passer tout l'hiver à la campagne et si j'avais comme lui ma liberté, je penserais de même, mad. Albine en prendrait bien son parti cette année. Au reste il ne faut pas s'entretenir de projets impossibles à exécuter et brouter là où on est attaché.

Albine est très bien, il n'est plus question de sang porté à la figure et je suis obligé de convenir qu'elle a une charmante tournure, il est difficile d'être mieux faite mais en m'applaudissant de cet ouvrage il faut bien m'accoutumer à penser qu'il est destiné à éprouver de grands changements. Je désirerais bien cependant que cela fut un peu retardé car ces premiers moments où une jeune femme paraît dans le monde sont bien les plus beaux de la vie de ces êtres intéressants, hélas que de douleurs que de may (cachet noir cache partie du mot) sont ensuite leur partage !

Adieu ma chère maman , embrassez pour moi ma bonne tante et si mon tendre et invariable attachement peut contribuer un peu à vous attacher encore à cette vie, croyez que j'ai bien des droits à vous prier de prendre soin de votre santé. [...]

J'avais fait faire des billets de famille pour rendre nos visites, j'ai cru devoir suspendre cet envoi à cause du deuil où nous sommes. Vous êtes à la tête de cette liste, car il est bien d'usage d'y placer les parents père mère oncles et tantes lors même qu'ils sont absents, mais M. de Besson est sur la liste, son grand deuil à lui sera fort long ; dites-moi si je dois faire réimprimer les billets pour en ôter son nom ou si je peux l'y laisser ? Je suivrai votre conseil mais ce sera entre nous absolument.


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