Lettre d'Antoine à sa mère Antoinette, 30 juillet 1805
Expedié depuis : Lyon
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Il y a si longtemps, ma chère maman , que je n'ai eu le plaisir de vous écrire que j'espère que vous ne trouverez pas mauvais que je dispute à ma femme celui de répondre à votre dernière lettre.
Les souffrances de ma sœur se prolongent beaucoup, il est heureux que son courage supplée à ses forces, elle supporte ses maux avec une résignation et une patience que j'ai admirées et dont je crois bien que je ne serais pas capable. J'avais appris avec bien de la joie qu'on avait enfin la certitude d'un polype parce que dans la position affreuse où je l'avais laissée, c'était tout ce qu'on pouvait espérer de moins dangereux, mais maintenant je suis bien inquiet et bien peiné de voir durer aussi longtemps ce pénible travail. Embrassez pour moi cette chère malade , j'éprouve une sorte de peine à me trouver en bonne santé quand je la sais aussi souffrante, je voudrais bien de tout mon cœur pouvoir partager ses douleurs si cela les diminuait, elle est entourée de bien des gens qui pensent de même et qui ne lui en laisseraient sûrement qu'une bien petite portion à supporter si cette compensation pouvait avoir lieu.
Ma femme et ma fille retournent aujourd'hui à Machy, et M. de s . part demain, il s'est parfaitement conduit pendant son séjour à Lyon et a eu l'intention de le prolonger aussi longtemps que ces dames y restaient, je suis de plus en plus persuadé que par son caractère et ses qualités il est destiné à faire le bonheur de sa femme, malgré la taille, la perruque et l'âge. Ma fille ne témoigne pas d'éloignement mais elle aurait besoin d'être décidée et sa mère ne croit pas devoir prendre sur elle de l'influencer. Cependant ma chère maman , je regarde cette affaire comme bien avancée quoiqu'ils se quitteront sûrement sans s'être rien dit qui y eût rapport, j'avoue que je crois qu'il ne faut pas mettre une demoiselle dans le cas de causer avec un homme sous certain point de vue sans que tout soit absolument décidé ; M. de s . espère obtenir de son père les petits changements auxquels nous tenons, M. Hélie le croirait très possible, ma femme devant aller à Grenoble à la mi-août pour voir ma sœur , elle y aurait mené sa fille ; il était tout simple qu'elle fût voir un moment cette aimable tatan qu'elle aime de tout son cœur, et alors M. de s. le père n'apportant aucun obstacle, madame de s. trouvant ma fille à son gré on serait convenu du moment de terminer qui ne pouvait d'ailleurs se régler que d'après la situation de ma bonne sœur nous n'avons ni les uns ni les autres envie de nous livrer à la joie pendant qu'elle éprouve d'aussi cruelles souffrances. Voilà ma chère maman tout ce qui avait été dit au moment où M. de s. avait dû retourner et depuis nous nous sommes vus tous les jours mais sans rien dire de plus, je suis donc bien fâché qu'il ait écrit aussi positivement, bien fâché qu'on en parle à Grenoble, ici nous n'en avons parlé à qui que ce soit, M. Dubois n'a rien dit à ma femme , mais il est bien vraisemblable que l'ayant appris à Grenoble il en aura parlé à Lyon, je vous avoue qu'aimant et estimant beaucoup M. de S. je serais très fâché de cette publicité si la chose n'avait pas lieu, mais ce n'est pas à moi qu'on pourrait reprocher d'y avoir contribué. Je n'en ai dit mot encore à personne.
Vous sentez bien, ma chère maman , que vous auriez été la première instruite si la chose eût été irrévocablement terminée, c'est-à-dire décidée. Nous ne vous aurions sûrement pas mise dans le cas d'être dans l'incertitude de savoir si vous deviez ou non recevoir les compliments qu'on vous adressait ; en ce qui me concerne, je continue à le désirer et à croire que cela se terminera, mais je n'ai rien dit de plus positif et ai renvoyé le dernier mot à Grenoble à la fin d'août, en arrangeant les choses de cette manière je n'ai pas cru nuire aux affaires de M. de s. vous sentez que c'est surtout la confiance que ma fille a en vous, en ses parents de Grenoble et en M. le chevalier de la Morte qui peut influer le plus sur sa décision.
J'attendais ce matin M. Tisseur , il n'est pas encore venu, [ici, grande déchirure sur trois lignes où il est question de l'argent qu'il doit à sa mère], je suis persuadé que le négociant de Grenoble pourra vous avancer une partie de la somme en tirant d'avance la lettre de change de 1 250 livres, mais il me serait impossible d'y faire face avant un mois à dater de ce jour et je vous prie bien ma chère maman de me rendre le service d'arranger cela de cette manière. J'embrasse ma tante de tout mon cœur, je suis maintenant assez bien pour la santé mais bien tourmenté et des affaires et particulièrement de l'incertitude où nous sommes sur celle qui doit décider du bonheur de ma fille . Il ne faut cependant pas se plaindre dans ce moment où je viens d'être enfin nommé juge à vie, en remplacement de M. Morel , cela est satisfaisant pour moi et doit encourager mon fils à suivre la même carrière si tout cela tient et si je vis, il y a à parier qu'il pourra prétendre à me succéder dans cette place.