Lettre d'Antoine à sa mère Antoinette, 4 mai 1805

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Lyon

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Transcription

A Madame Morand Rue Brocherie à Grenoble.
Ce samedi 14 floréal

Classée dans les lettres non datées d'Antoine à sa mère ; il s'agit d'une lettre de 1805, dans laquelle il est question du mariage d'Albine avec un certain M. de S. (ou de B.) ; les tractations dureront jusqu'en juillet puis se termineront brutalement lorsque sera envisagée l'affaire beaucoup plus intéressante du mariage avec Bœuf de Curis.

Je commence, ma chère maman , une lettre que terminera ma bonne amie , pour vous prier de faire assurer en mon nom les parents de la personne dont il est question que si quelque chose pouvait me consoler de me séparer d'alb. ce serait la satisfaction de la voir entrer dans une famille pour laquelle j'ai autant de considération ; que je sens comme eux que la chose la plus importante dans une affaire de ce genre est que les parties les plus intéressées se conviennent réciproquement ; que je désire bien aussi dans le cas où l'on se déciderait à faire faire le voyage de Lyon à M. S. pour voir les parents qu'il y a et relativement aux affaires de Monsieur son Père, la chose soit absolument secrète entre nous, car alb s'est toujours si fort flattée de ne nous point quitter qu'il faudra du temps et surtout des convenances de caractère pour déterminer cette chère enfant à renoncer à cet espoir ; il est de notre devoir de la conseiller dans une affaire aussi importante pour le bonheur de sa vie mais le pouvoir de bons parents ne s'étend pas au-delà sur un objet de ce genre.

Si j'avais ma chère maman l'honneur de connaître la dame qui veut bien servir d'intermédiaire je vous prierais de lui en témoigner ma reconnaissance et de lui faire mes remerciements.

Quant à vous, ma chère maman , je ne vous en ferai pas, je suis accoutumé à vous voir vous occuper de tout ce qui peut m'intéresser et mon tendre attachement peut seul m'acquitter envers vous.

Je joins ici une petite lettre pour M. de la Morte , après l'avoir lue vous la cachetterez et la remettrez ou ne la remettrez pas si vous y trouvez quelque inconvénient. Dans le premier cas vous l'engagerez à me répondre tout de suite, quoique un voyage à Lyon ne puisse compromettre quelqu'un je voudrais cependant qu'il n'eût pas lieu avant que j'eusse quelque raison de croire qu'albi pourrait se décider ; vis-à-vis de ma sœur et de Besson je m'en rapporte absolument à ce que vous croirez devoir leur dire ; il paraît qu'ils approuveraient cet établissement et vous déciderez jusqu'à quel point ils doivent être instruits de ce qui se passe, vous sentez que cette réserve, si vous croyez en devoir mettre, ne peut être relative qu'à la famille B. et que pour moi je compte trop sur leur attachement pour leur cacher quelque chose de ce qui peut intéresser une nièce qu'ils aiment, mais je vous le répète, je ne leur écrirai rien à cet égard et vous déciderez seule jusqu'à quel point ils doivent être instruits.

Je vous embrasse de tout mon cœur, ma chère maman , je vais écrire mon bille à M. de la Morte et sortir ensuite.

Si vous pouvez déchiffrer mon billet vous verrez, ma chère maman, que je ne dis rien qui annonce qu'on ait parlé aux parents, et qu'il n'y a rien là qui puisse les compromettre. Mettez un bien petit cachet au billet pour ne pas anticiper sur l'écriture, ou remettez le ouvert si vous le préférez. [...]

Changement de main : Magdeleine poursuit sur la même lettre. C'est avec plaisir, madame et chère maman, que je me charge de la continuation de cette lettre ; nous ne reparlerons pas trop de l'affaire de Lyon puisqu'elle a donné à tous beaucoup de chagrin, nous n'en conserverons que plus d'amitié pour la mère, à qui je me propose de faire une visite ce soir (sans alb. ), mon mari me charge de vous dire que quant à ce qu'il vous a marqué sur l'objet de la lettre, il s'en rapporte à ce que vous croirez convenable de faire, que la mère vous ayant écrit avec tant de reconnaissance et de sensibilité, on doit peut-être s'en rapporter à elle, en la priant seulement de la brûler, comme une chose qui peut se perdre ou tomber dans les mains de gens moins sûrs, etc.

Je vois par la date de vos lettres à moi et à mon mari, en mettant 23 et 24 avril, il y a erreur de huit jours, nous les avons reçues avant-hier qui était le 2 mai, il est bien aisé de sauter une semaine sur son almanach ; sans cela elle aurait retardé beaucoup et nous par conséquent à vous répondre, ce qui n'a pas été dans notre intention.

Malgré tout mon chagrin en songeant à une séparation avec la personne que je n'ai jamais quittée, je me crois obligée de lui faire toutes les réflexions convenables dans une affaire aussi importante. J'ai pensé ainsi que vous sur la nécessité de la consulter, son premier mouvement a bien été de dire absolument non ; mais j'y suis revenue à plusieurs fois ; l'obstacle qui paraissait invincible était la séparation ; je lui ai parlé de notre rapprochement pour les deux premiers hivers et sur l'espoir qu'on pourrait peut-être continuer ; elle a bien su raisonnablement me dire qu'on manquait souvent à ces paroles-là et que rarement elles pouvaient s'exécuter, cependant les avantages du côté de la fortune de la famille l'ont un peu ébranlée ; mais comme le physique lui est connu de réputation, elle a la plus grande peine à prendre son parti, pour une aussi petite taille, elle préférerait bien l'excès contraire, au résultat elle m'a cependant dit qu'elle désirerait pouvoir le connaître ; je lui ai parlé de tout le bien qu'on pensait de lui, elle en a entendu parler à M. de la Morte , qui paraît avoir vécu avec lui, et c'est parce qu'elle a paru désirer qu'on écrivît au Chevalier que mon mari s'est décidé au petit billet que je vous fais tenir en vous répétant cependant que si vous croyez cela imprudent, comme pouvant y donner trop de publicité, de ne pas le lui remettre.

J'ai de mon côté un peu d'inquiétude sur ce que l'on a cru devoir parler du propos de M. Flachon à Tis.. je crois bien vous avoir positivement marqué, de la manière dont il avait été tenu, en disant seulement qu'elle avait un neveu de 20 M. l. de rente à marier, et dit à la suite je crois que Mlle Morand a bonne façon ; ce fut ces seuls mots qui ne signifiaient pas grand-chose et je serais fâchée que la mère qui en a paru surprise, fût dans le cas de lui en écrire ; cela pourrait paraître à la tante d'ici avantageux de notre part et la fâcher. Car je crois que cette personnes serait fort bonne à ménager dans cette affaire, et qu'elle ferait attention au cas qu'on pourrait faire d'elle dans cette circonstance, je la crois de toute manière très convenable, elle pourrait nous aider beaucoup à obtenir le séjour que nous désirerions leur voir faire ici, il se trouverait motivé, sur une partie de leur rente à recevoir à Lyon et sur des parents agréables à cultiver.

Si nous devons aller plus avant sur cette affaire, je voudrais entrer dans encore plus de détails ; il est bien à présumer que ces deux premiers hivers, qu'on permet de passer ici, ce ne serait qu'autant que je pourrais les recevoir (et je n'ai pas besoin de parler du peu d'obstacle que j'y mettrais). Cependant vous connaissez notre disposition d'appartement, et la plus grande raison encore (que je ne puis dire qu'à vous) c'est que faisant pour ma fille plus que nous ne pouvons, il nous faut la plus grande et la plus stricte économie ; il faudrait donc bien convenir du dédommagement à ces frais-là pour moi ; vous savez mes intentions pour ce qui est ma manière de vivre, après le moment où j'aurai pu fixer le bonheur d'Albine et je ne varie pas sur ces articles ; la très grande jouissance de la posséder quelques mois me décidera aux changements de mon intérieur pendant ce temps-là ; si cela ne m'oblige pas à des frais que je ne puis pas absolument trouver sur ce qui nous restera de fortune.

Un second article aussi, c'est de savoir si l'été à passer à la campagne se trouvera dans celle à céder au fils et vraisemblablement le ménage tenu pendant ce temps-là par les père et mère en déduction des rentes à lui faire ; sur celui d'obter (sic : opter) entre les 4 M. L. de rente ou la propriété, nous ne sommes pas tout-à-fait d'accord avec mon mari, je préfère infiniment le dernier, même à quelque 100 L. de rente de moins, il faut la possession au moment d'un objet qui attache et fasse une occupation ; surtout au mari ; il faut un ménage, des enfants et des affaires, mais pas trop de l'un ni de l'autre ; je suis persuadée aussi qu'alb. pensera comme moi sur la propriété, le plaisir de paraître tout de suite chez soi, et d'y faire les changements à son goût serait une jouissance et un moyen pour s'accoutumer un peu à la dure séparation ; un bien petit objet de vanité, c'est que s'il y avait un second nom cela ferait plaisir ; je ne sais pas où mon mari a pris qu'il s'appelait De Sesarche ; au reste il leur serait sûrement bien aisé d'en trouver un, qui distinguât le fils du père (c'est encore une chose que je ne puis dire qu'à vous), mon désir, espérant que cela peut faire le bonheur d'alb. est de réunir le plus de choses qui lui paraissent agréables pour l'y décider ; mais la petite taille est un grand obstacle, il n'y avait que le séjour près de nous qui pusse lui faire faire ce sacrifice ; elle me dit aussi modestement qu'elle désirerait le connaître, mais qu'elle pensait bien aussi qu'il était très possible qu'elle-même ne lui convienne pas. Celui dont il a été question se trouvait d'une haute taille, alb. lui plaisait beaucoup elle l'a vu sans pouvoir s'en douter, mais je ne le regrette point ; je n'ai pas pensé de même pour un dont il fut question cet hiver, proposé par Mme de Montherot (je n'ai pu que savoir gré à cette amie) par bonne volonté elle fut beaucoup trop vite, il était dans le nombre des petits mon mari y trouvait cependant quelques inconvénients, il y avait 100 M. écus et le séjour ici, enfin c'est de celui-ci comme du dernier il ne faut plus penser pour (déchiré). Combien les Dlles sont difficiles à marier, Mlle Demag avec bien plus d'avantages qu'albi , s'est décidée de la même manière, je lui la cite ainsi que Mlle Devalin , etc.

Je suis fort aise que vous soyez contente du châle, le prix de la blonde n'est que de 21#, je n'ai pas dépassé de beaucoup ce que vous m'aviez prescrit, je me suis surtout attachée à la qualité, elle est très forte, le tout fait une emplette un peu chère, mais c'est en fait de toilette ce qui fait le plus de plaisir ; le mien me revint à 50 écus, je me permis cette fantaisie ainsi que de faire monter ma plaque de diamant en boucle d'oreille, au moment où le pauvre M. Dupenble me fit cadeau de 100 Louis.

Je désire bien que la santé de la chère sœur se fortifie, je vois que vous en êtes encore en peine. Mille compliments à tous et à la tatan  ; voilà toujours de bien longues lettres et bien barbouillées ; c'est toujours en me détournant beaucoup que j'écris, je vous réitère l'assurance de mon respectueux attachement. »


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