Lettre d'Antoine à sa mère Antoinette, 10 décembre 1804

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_35_2_1804_12_10_1.jpg
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Transcription

A Madame Morand Rue Brocherie à Grenoble.
Paris, le 19 frimaire an 13

C'est avec un bien grand plaisir, ma chère maman , que j'ai reçu votre lettre car en m'éloignant de cent lieux de la distance habituelle où je me trouve de vous, les nouvelles de votre santé et de celle de ceux qui m'intéressent et vous environnent deviennent encore plus précieuses qu'à l'ordinaire. Je suis à Paris, j'ai cru devoir y venir et ne le regretterais pas si ma position ne me mettait dans le cas de compter et si l'argent que j'y dépense bien forcément ne me faisait croire qu'en bon père de famille j'aurais dû comme bien d'autres me dispenser de ce voyage (entre nous cependant) voilà quel a été mon calcul, je ne tiens à la cour d'appel de Lyon qu'en remplacement, cet état est avantageux pour moi à raison des rentes qu'il me donne, il peut l'être pour mon fils si tout cela prend de la consistance et j'ai pensé que s'exécuter dans cette circonstance marquante, ce serait acquérir de nouveaux droits à la première place vacante ; si sur cela comme sur tant d'autres choses, je me suis trompé, c'est un malheur, mais je ne crois pas cependant devoir me faire de bien grands reproches comme j'en suis souvent tenté. Bien des gens au reste ont fait comme moi car on est étonné du grand nombre de ceux qui sont venus ; on dit qu'il y a environ deux mille présidents de canton à Paris et le nombre total est de 3350. Il y en a eu très peu du département de l'Isère, ce qui fut remarqué le jour de la présentation à l'Empereur.

J'ai assisté à la superbe cérémonie du couronnement et n'entrerai pas dans des détails que vous aurez dans tous les journaux, je vous dirai seulement que l'impératrice a vivement intéressé par son air de noblesse, de dignité et d'un peu d'embarras cependant dont tu lui sauras gré, l'empereur avait l'air fort content et a fait abréger la cérémonie tant qu'il l'a pu, ils n'ont communié ni l'un ni l'autre (comme on l'avait annoncé), c'était l'usage du sacre de nos rois et il y a apparence que cela n'est pas de mode pour les empereurs ; ce qui m'a frappé dans cette cérémonie et j'aurais désiré que cela fût moins sensible, c'est que l'éclat qui environnait le trône placé en face de l'autel et masquant la porte d'entrée, et la magnificence de tous les grands corps de l'État placés de droite et de gauche étaient tels, que le trône du pape, les cardinaux, les archevêques et évêques et toute la pompe des cérémonies religieuses étaient absolument éclipsés. Nous entrâmes à l'église à huit heures précises du matin, le pape y arriva à dix, l'empereur à midi et à quatre heures tout fut terminé.

Le lundi il y eut des fêtes pour le peuple et un temps superbe ainsi que le mardi, mais le mercredi jour de la cérémonie du Champ de Mars et de l'échange des drapeaux républicains il plut du matin au soir ce qui n'empêcha point la chose d'avoir lieu, on a bien regretté que cela ne se fût pas fait le mardi comme cela devait être d'abord, ç'aurait été de l'avis de tout le monde, le plus beau coup d'œil possible. J'étais fort enrhumé et ne jugeai pas à propos de me réunir aux présidents de canton qui couraient les boues en bas de soye blancs ; je vins en botte me placer dans le jardin des Tuileries avec un parapluie et vis très à mon aise passer le superbe cortège que je n'avais pu voir le dimanche (étant dans l'intérieur de l'église).

Je n'ai point encore été voir l'évêque de Grenoble et le préfet  ; j'irai chez ce dernier dès qu'on m'a annoncé chez lui, et serai d'ailleurs flatté de le connaître d'après tout le bien qu'on en a dit. J'ai vu un moment les deux La Salette . Je vous assure que la vie que je mène est triste parce que tout est difficile et cher, la population est si immense maintenant qu'on ne peut se procurer un fiacre, et il est difficile de courir les boues en habit habillé surtout d'un autre côté on ne peut aborder les spectacles où il y a toujours une foule immense de manière qu'on ne peut ni s'amuser ni faire qu'avec beaucoup de peine et de temps, les visites qui seraient nécessaires pour entretenir ses connaissances.

Le séjour des maires de Lyon à Paris et de Mad. Sain en particulier me procureraient beaucoup d'agrément si nous étions plus rapprochés, la ville fait les frais de leur voyage, ils reçoivent les Lyonnais et les gens en place qui peuvent être utiles à notre pays, j'y suis invité né et en profite quand je peux accrocher un fiacre pour m'y faire conduire.

Notre présentation à l'empereur n'a fait que nous faire jouir d'un magnifique spectacle, car vous sentez ce que doit signifier au reste une présentation de 2 000 personnes faite en deux heures de temps.

D'après les ordres de l'empereur, les ministres et autres puissances reçoivent aujourd'hui lundi tous les présidents de canton à dîner, ceux de notre pays vont chez le cardinal oncle de l'empereur et notre archevêque ; demain nous dînons chez le ministre de l'intérieur , il doit y avoir jeudi prochain et dimanche des fêtes l'une donnée par la ville, l'autre par le sénat et j'imagine tout terminer et que chacun pensera à s'en retourner chez [soi] je ne serai pas des derniers à prendre ce parti, cependant je ne veux pas que avoir vu quelques personnes qui m'ont témoigné de l'intérêt comme à (l'ordinaire) la maison Fulchiron me comble d'amitié et on trouve toujours chez eux une réunion de Lyonnais.

Mercredi matin toute la députation Lyonnaise sera présentée à sa s. par le cardinal Fesch, lorsqu'on en a demandé l'agrément au st père, et c'est moi qui en ai eu l'idée, il a répondu avec beaucoup d'empressement…. Des Lyonnais, ils sont particulièrement mes enfants, je les recevrai avec grand plaisir, qu'ils viennent et le plus tôt possible. Il paraît qu'il a été parfaitement content de la joie et du respect qu'a témoignés à sa sainteté le peuple de Lyon, ici ce n'est pas tout-à-fait la même chose.

Mille choses bien tendres à ma sœur à ma tante j'embrasse .

Je ne compte pas rester ici plus de quinze jours, j'espère cependant y recevoir encore votre réponse, mille chose à Roset je l'aime toujours beaucoup et il n'a pas besoin que je lui écrive pour y croire ; j'ai parlé de lui beaucoup avec ma cousine Albier (Mlle Dejours ), elle est repartie, son mari qui doit rester quelques jours à Grenoble m'a promis de vous voir et de vous donner de mes nouvelles, c'est un garçon de mérite qui a une très grande fortune et une belle place, ce mariage qui a été fait contre le gré du père a parfaitement réussi et sa femme est charmante et bienheureuse, il a placé ses deux fils dans le collège où j'avais mis James à Paris et qui va de manière à bien augmenter mes regrets de n'avoir pu l'y laisser. Je vous embrasse de tout mon cœur et prends la liberté d'insérer un petit billet pour Besson dans votre lettre, j'espère le plier de manière que cela n'augmentera pas le prix de la lettre et qu'on n'aura pas l'idée de la peser. M. l'évêque de Chambéry que j'ai l'honneur de voir m'a donné l'adresse de celui de Grenoble et je le verrai.


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