Lettre d’Antoine à son épouse Magdeleine, 10 juillet 1801

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

Facsimilés

Si le zoom ne fonctionne pas sur votre navigateur : cliquer sur l'image
Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_035_3_107_1.jpg
Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_035_3_107_2.jpg
Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_035_3_107_3.jpg
Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_035_3_107_4.jpg

Transcription

Adresse ?
Paris, le 21 messidor vendredi

Avant-hier ma chère amie a eu lieu cette fameuse conférence, tu sens combien il m'a été difficile de réunir MM. Bérenger et Duchesne avec les chefs de bureau et au moment, tout a été près de manquer parce que M. Le Grand avait à travailler avec le ministre, heureusement le travail n'a pas été si long qu'on le croyait et ces messieurs ayant bien voulu attendre, le chef de bureau est rentré après à temps pour que cela ne soit pas différé à un autre jour qu'il aurait été bien difficile de fixer et d'obtenir.

Ne t'attends pas ma chère amie que je t'instruise en détail et même du résultat précis de tout notre bavardage, c'est tout ce que je pourrai faire de vive voix que d'en donner une idée, tant il est difficile de discuter avec des gens qui persistent dans leur opinion sans vouloir examiner si elle est fondée et sans s'arrêter aux bonnes raisons qu'on leur donne aussitôt qu'elles contrarient leur opinion. Je te dirai seulement qu'il me paraît décidé maintenant que l'affaire n'ira point au conseil et qu'une simple décision du ministre fixera la manière dont les ponts doivent être imposés ; que comme un imbécile de minou j'ai tiré les marrons du feu pour les voir croquer aux autres ; que sur le tout le plus ou moins d'avantages pour nous va dépendre de la rédaction de la lettre du ministre et que je vais obtenir de M. Le Roy la permission d'en faire moi-même le projet.

Je ne peux donc ma chère amie entrer avec toi dans les détails qui varieront encore bien sûrement avant que la rédaction soit arrêtée et signée.

Ce que je vois de plus heureux pour moi dans la tournure de cette affaire qui a changé absolument c'est que je ne serai pas dans le cas d'examiner si ma présence est nécessaire à Paris pour suivre l'affaire au conseil, ce qui n'était malheureusement pas douteux ; voici en l'état mes intentions et mes projets.

Suivre vivement l'expédition de l'affaire de la prorogation et de la lettre du ministre sur les contributions ; et m'arranger pour que tout cela soit prêt et fini de manière à ce que je puisse partir le 10 ou le 12 thermidor, je verrai le préfet quelques jours à Paris s'il part tout de suite après le 25 de ce mois et j'espère que l'ensemble des avantages qui résulteront pour nous des deux décisions sera assez favorable à nos intérêts pour que ma compagnie se félicite de mon voyage et ne regrette pas ce qu'il lui aura coûté. Ce retard va je l'espère te bien ennuyer ma chère amie mais il est nécessaire pour ne pas partir les mains vides c'est-à-dire sans des arrêtés pris et d'un autre côté il est bien intéressant que je voie le préfet et que je ne suis pas dans le cas de ne le voir ni à Lyon ni à Paris. Je t'avoue que pour moi je suis bien plus content, parce que j'étais dans une incertitude cruelle sur ce que je devais faire si l'affaire était portée au conseil et d'après la façon de penser de M. Le Roy cela me paraissait certain, il a cédé à M. Le Grand qui veut que le ministre décide ; cette décision ne remplira pas sûrement l'intention où j'étais de faire déclarer les ponts non imposables, mais elle diminuera bien l'impôt pendant quelques années et nous donnera le temps de respirer ; j'espère par exemple que les actionnaires du petit pont ne refuseront pas de contribuer aux frais de mon voyage car c'est eux surtout qui retireront le plus grand avantage de la décision à intervenir, sur tout cela ne dis rien à personne, il serait au reste difficile d'après tout le barbouillage que je te fais, que tu puisses fixer les idées et je ne peux vraiment te parler plus clairement que je ne sache moi-même à quoi m'en tenir précisément.

Ce qui me donne un peu de courage et calme l'inquiétude que j'éprouvais depuis longtemps c'est qu'au moins je peux maintenant fixer l'instant où je m'en irai retrouver ma maîtresse, mon amie, ma femme , mes enfants, le bonheur enfin. D'après tout ce que tu me dis sur Daudiffret et la longue conversation que tu as eue avec lui je crois bien que sa femme a eu tort de ne pas le suivre mais il ne partit que pour trois mois et bien des années se sont écoulées depuis. Au reste il me semble que rien ne peut le dispenser de venir voir sa mère ; il est maintenant impossible que sa femme la quitte, il est à désirer et il faut espérer que Mad. Daudiffret sentira la convenance et la nécessité de ce que désire son mari ; mais ce ne peut être à présent puisque l'on ne peut faire voyager la mère ni l'abandonner et que l'on ne peut espérer la conserver bien longtemps ; je crois qu'un petit voyage de Daudiffret ferait grand plaisir à sa mère et ferait grand plaisir à sa femme et à ses enfants et préparerait leur réunion en province lorsque Mad. Daudiffret la mère aurait terminé ses jours ; il y a apparence au reste qu'il ne viendra pas seul je le verrai à mon arrivée et tâcherai d'ici là d'avoir une conversation particulière avec sa femme qui puisse me mettre dans le cas de lui dire ce que je pense de ses intentions et de ces sujets. Il est assez plaisant dans cette affaire que ce soit toi qui sois disposée à excuser le mari ; je te rappelle que les merveilleux incroyables et volages époux sont des êtres adorables ; que leurs femmes sont trop heureuses d'obtenir d'eux quelques légères marques de souvenir et que celles des autres sont disposées à excuser et plaindre ces aimables infidèles ; ah si je pouvais revenir à l'âge de vingt-cinq ans avec mon expérience, comme je m'appliquerais à recevoir toute l'amabilité et les talents légers et agréables qui pourraient me préparer des triomphes et me rendre adorable aux yeux de celle qui aurait uni son sort au mien en la désespérant par mon aimable inconstance ! Mais il est des êtres moins privilégiés que d'autres et qui las de trouver les plus douces jouissances de leur vie dans un attachement durable et en consultant mon cœur je sens bien que si je revenais à vingt-cinq ans je ne voudrais travailler à être plus aimable que pour attacher à mon existence par des liens plus longs encore et plus sûrs s'il est possible, l'être chère qui m'attache à la vie et m'y fait trouver tant de charmes ; je ne pourrais t'aimer davantage mais j'aurais l'espoir d'ajouter encore à ton amour pour moi ; je ne redeviendrai pas jeune mais la douce espérance d'être toujours tendrement aimé de la meilleure moitié de moi-même ne m'abandonnera qu'avec la vie. [...]


Licence

Creative Commons License