Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 5 juin 1801

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Transcription

A Madame. Madame Morand Jouffrey. Rue St. Dominique. A Lyon
Paris, le 19 prairial an 9

Je n'avais pas le temps hier ma douce amie de t'écrire longuement et malgré le gros et sûrement bien cher paquet je ne pouvais y insérer qu'un petit mot, il a suffi sans doute pour décider ta marche et je voudrais bien que quelques circonstances eussent fait différer le départ du préfet pendant quelques jours, je ne crois pas possible d'après les circonstances où nous sommes, l'air qu'il a donné en faveur du pont de la Mulatière et l'intérêt qu'il doit voir qu'y prend M. Cretet que son avis puisse être douteux mais je crains que dans les derniers instants de son séjour à Lyon il ne puisse pas l'expédier ; il importe de savoir de Jaumes à quel bureau ce sera renvoyé, si c'est à celui de M. Duparc , c'est un homme fort honnête et à qui tu peux demander de ma part une prompte expédition. Ce doit être dans son bureau ; si c'était dans tout autre Pallé Goy t'aiderait de tout son pouvoir et Jaumes t'aidera sûrement aussi à faire promptement expédier le renvoi des pièces. Tout sera peut-être arrivé trop tard et alors tu me renverras le paquet sans enveloppe à mon adresse, j'ai reçu hier une lettre du moine qui me mande que la reine est à Machy qu'elle est brouillée avec le moine parce qu'il veut faire planter des ormes etc. qu'il faut faire nommer à sa place au conseil général de département et que si Cochard donne sa démission et que minou ne veuille pas de la place que le sujet est bien disposé à lui faire avoir, il faut tâcher de la faire avoir a titi quoique le moine pour ne pas se gêner dans ses grands projets relatifs aux octrois a demandé au sujet pour M. Refret dans le cas où le minou n'en voudrait pas.

J'écrirai incessamment au moine et ferai sûrement tout ce qui sera en mon pouvoir pour que titi soit nommé au conseil général, si le préfet le veut cela n'est pas douteux. Tu me diras ce qui s'est passé au conseil municipal et si tu as eu à dîner Perron avec Sain .

Je désire que Cochard ne donne pas sa démission car je t'assure que je craindrais bien d'être tenté de faire une sottise, comme je ne peux parler de tout cela qu'à toi il faut causer un moment des réflexions que j'ai faites sur cet objet.

La composition est vraiment faite pour éloigner, comment un homme qui n'a pas paru se soucier du tribunal de première instance à cause de certains collègues, croit-il changer de carrière pour se trouver avec trois individus dont on ne fait pas grand cas et avec lesquels il ne pourrait avoir de grandes liaisons ; cela paraîtrait étonnant tandis qu'il eût été naturel de rester placé dans l'ordre judiciaire malgré un mélange qui existe bien dans les deux tribunaux. Les fonctions ne sont pas importantes, elles sont cependant assujettissantes et exposent bien à se brouiller avec le préfet , ou à n'avoir jamais de volonté que la sienne. Le gouvernement peut nommer à votre place, à la vérité il faudrait bien des choses extraordinaires ; le changement de préfet peut aussi rendre désagréable l'exercice de ces fonctions, et les 2400# sont à peu près nuls à cause de la dépense que cela me ferait faire de plus.

D'un autre côté, une place de ce genre me donnerait un bien grand avantage pour mes affaires particulières, celles de la compagnie y gagneraient beaucoup et sans doute j'aurais de grandes facilités pour amener petit-à-petit à tout ce qu'on pourrait faire à l'avantage des Brotteaux, par les liaisons et les rapports continuels que j'aurais avec le préfet . A Grenoble il y a des gens très comme il faut qui ont accepté ces places, à Lyon il faut bien que quelqu'un d'honnête commence à y entrer et peut-être me verrait-on avec plaisir surmonter la répugnance que je dois avoir de me trouver avec de pareils collègues. Je crois bien aussi que cela ne pourrait que me mettre dans le cas de profiter avec plus d'avantage de la première occasion pour avoir une place au tribunal d'appel, cependant je ne pourrai pas venir à Paris pour la solliciter mais on a toujours de l'avantage quand on tient à la chose, d'ailleurs ont attend plus patiemment quand on est placé provisoirement.

D'après toutes ces réflexions, ma bonne amie , tu vois que sans la composition je me déciderais à accepter, dis-moi franchement ce que tu penses de tout cela, j'espère que je ne serai point dans le cas de m'en occuper mais si cela arrivait il faut nous faire d'avance nos idées, prendre un parti réfléchi et ne point avoir ensuite de regrets quand on s'est décidé.

Hier j'ai été avec M. de Virieux et son fils aîné qui vient d‘arriver, à Tivoli autrefois le jardin  ; il est très vaste, il y a eu de belles illuminations, assez mauvais concert et feu d'artifice passable ; un monde prodigieux, on évalue à dix mille personnes le nombre des spectateurs, ce qui à 6# donne une recette de soixante mille livres. Il n'y a que Paris pour toutes ces choses-à, tous les spectacles sont toujours pleins et le prix n'arrête personne, le luxe, les chevaux voitures, augmentent chaque jour on est cependant bien loin d'avoir une paix solide mais chacun ne s'occupe que des moyens de s'amuser sans songer si cela pourra durer longtemps. Il est plus tard que je ne croyais et je suis obligé de me borner à cette petite lettre. J'embrasse mes enfants, débarrasse toi de James et qu'il répare bien le temps perdu il faut pendant quelque temps ménager sa jambe s'il ne veut pas s'en repentir longtemps. Je t'embrasse de tout mon cœur et me flatte de recevoir demain de tes nouvelles, je n'en attends plus aujourd'hui.


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