Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 6 juin 1801
Expedié depuis : Paris
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Je suis fâché ma bonne amie que ma lettre du 6 t'ait fait quelque peine ; ce n'était pas mon intention, j'écrivis cette première page bien en plaisantant, il faut donc se rappeler de ne pas plaisanter de si loin parce qu'on ne peut lire dans les yeux de celui qui écrit l'intention qui l'anime ; sur le tout il me convenait peu de te chercher querelle, car comment pourrais-tu ne pas varier dans tes raisonnements sur une affaire que je vois sans cesse moi-même d'un nouveau côté et dont je ne peux prévoir encore quelle sera la fin. Rien de nouveau et malgré les huit jours passés, M. Le Roy n'a rien fait encore mais il promet beaucoup et Sergen me rassure et se charge maintenant de le presser. Dieu veuille que cela amène une décision quelconque, je suis maintenant bien découragé et souvent fâché d'avoir entrepris un voyage où j'aurai dépensé de l'argent, qui surtout m'aura privé du plaisir d'être auprès de toi et qui sera peut-être inutile aux intérêts de ma compagnie ; c'est tout de bon que la vie que je mène m'excède et que l'incertitude où je suis commence à me devenir insupportable, je ne peux rester ici éternellement et quoi qu'il m'en coûte de renoncer à toutes les peines que je me suis données j'en suis souvent furieusement tenté. Ce n'est pas que mon affaire aille plus mal, mais c'est qu'elle ne va pas et qu'il n'y a pas de raison si cela dure pour qu'elle ne soit éternelle. J'attends et compte sur un dîner que M. Sergen doit me faire faire avec M. Le Roy , comme je te l'ai dit il y a déjà un rapport fait par M. Oyon qui est favorable mais l'importance qu'on met à cette affaire me fait craindre qu'elle ne se prolonge encore trop longtemps pour que je puisse y tenir. Si les ponts ne sont pas reconnus exempts, je ne douterai pas que nous n'obtenions au moins une exemption particulière et momentanée mais comme cela serait demandé en même temps que la prorogation du péage il est bien à craindre que l'une des demandes ne nuisît à l'autre, tu vois que je suis très embarrassé, plains-moi donc un peu et surtout d'être séparé de tout ce que j'ai de plus cher sans que les plaisirs de la capitale puissent me dédommager le moins du monde.
La seconde affaire est commencée, celle-là réussira je l'espère et je suis fort content de M. Cretet , mais il faut que cela convienne à la Compagnie, ce qui doit être, que cela ne me fasse pas d'affaire sérieuse avec le palais et ne me donne pas des désagréments et c'est ce qu'il faut espérer, car il ne faut pas que bien des petites considérations empêchent de suivre des affaires de la manière qu'on croit la plus avantageuse.
Ta lettre m'avait d'abord avancé que le préfet ne venait point encore ce qui m'arrangerait fort bien, mais je sais d'après ce que t'a dit Perron qu'il est peut-être en route maintenant, cependant quittera-t-il Lyon dans le moment où le conseil municipal est assemblé, je n'en crois rien.
Dans l'incertitude de sa marche, j'ai obtenu qu'on me remettrait la lettre pour laquelle on le consultera, aussitôt que je pourrai l'avoir je te la ferai passer et s'il n'est plus à Lyon tu me la renverras car je ne voudrais pas que tout autre eût à s'expliquer sur cet objet ; le préfet doit désigner quelqu'un pour le remplacer, ce doit être un des conseillers de préfecture et tu sens que je ne peux compter sur aucun d'eux, je pense comme toi et comme je pensais sur ces places surtout à cause de la composition, si elle était différente j'en ferais la folie ; mais pas possible d'y penser. Peut-être est-il à craindre que le préfet ne puisse pas hors de son département ou pour mieux dire ne veuille pas donner un avis, c'est ce qui me dérangerait bien à cause du retard qui en résulterait, je comptais lui écrire aujourd'hui pour le prévenir, mais j'aime mieux attendre d'avoir la lettre pour ne pas te mettre dans le cas de le voir deux fois consécutives pour un même objet. Je me flattais que tu trouverais Perron chez le préfet , ils sont fort bien ensemble ; je suis bien aise que vous ayez fait connaissance et je ne doute pas que tu ne fasses tout ce que tu pourras pour lui être utile auprès du moine , quoi qu'il arrive et quelle que soit la conduite de cet ami, que Perron voie bien que tu agis franchement avec lui et que notre désir est de lui être utile.
Tu verras ensuite en causant avec lui si tu seras dans le cas de lui parler de la prorogation du péage, il en sera étonné parce que j'avais paru n'y pas penser ; si le préfet n'est plus à Lyon ou s'il ne paraît pas qu'il veuille en parler à personne, il vaut peut-être bien autant n'en rien dire à Perron . Je m'expliquerai ensuite avec lui lorsque nous [nous] verrons ; lui ferai sentir que nous ne pouvions faire autrement et lui parlerai de la traille à deux liards, car cela est indispensable sous tous les points de vue.
A cet égard, ma chère amie , je te recommande de voir avec M. Hubert et Marion ce qu'on pourra faire de moins coûteux pour pouvoir parvenir à la traille du côté des Brotteaux ; le préfet devait s'occuper de la réparation de la petite digue, le conseil municipal avait appuyé sur la nécessité de ne pas le laisser entraîner. M. le maire du midi était invité à tenir la main à cet objet, vois avec ce dernier si avant d'aller à vaux il pourrait s'occuper des moyens d'empêcher que le mal ne s'accroisse ; on pourrait se borner à rétablir la tête de la digue en la faisant rentrer dans les terres de manière que les eaux ne dégradassent pas ce qui reste et que cela fit en même temps passage pour arriver jusqu'à la traille. Il faut en parler à M. Cambioso en lui parlant de la nécessité de l'établir dans le cas où le péage double continuerait et toujours en lui disant que quoique je ne t'en parle pas tu ne doutes point que je ne m'en occupe ; et qu'on vit avec M. Hubert , Marion ; le maire du midi , les propriétaires qui joignent la traille, Coste , Gerando etc. les moyens de réparer la tête de cette digue de manière à ce que le mal ne s'augmente pas à chaque crue du Rhône ; il faut aussi en parler au préfet et à Jaumes mais c'est le moine qui peut faire aller tout cela, s'il veut en nous rendant ce service faire quelque chose d'infiniment utile pour que le Rhône ne s'éloigne pas encore davantage des murs des quais de la ville et ne s'étende pas davantage dans les Brotteaux, je voudrais bien que tu l'y conduisis avec M. Marion pour qu'il jugeât de la nécessité de remédier à cette digue.
Comme il paraît que le moine est de l'avis de la prorogation et que nous pouvons compter sur sa discrétion et son amitié (jusqu'à [un] certain point), fais-lui sentir de quelle nécessité il est de rétablir cette digue, et combien il est important que la traille put être rétablie au moment de la prorogation du péage.
Il est vraisemblable que le vice-président n'a pas trouvé encore l'instant favorable de parler de certaine affaire, soit bien sûre qu'il n'oubliera pas de t'en rendre compte lorsqu'il aura quelque réponse à te donner ; au reste je n'y tiens pas et ne voudrais pas encore d'une nouvelle affaire qui m'engagerait à prolonger mon séjour ici.
Quel que soit le genre de corset que tu adoptes, ma bonne amie , je m'en rapporte et tiens beaucoup au contenu et non pas au contenant quoique je me rappelle souvent avec plaisir les contenants en toile rouge. La mesure que tu m'annonçais n'était point dans la lettre envoie-m'en donc une je te prie et bien clairement expliqué car j'ai maintenant la tête bien dure et l'intelligence furieusement difficile. Ma santé est toujours bonne, le temps mauvais depuis plus de quinze jours et je suis fâché de ne pouvoir pas me promener un peu, c'est maintenant la manière la plus agréable et la meilleure pour la santé, de passer ses soirées et je forme ce projet dans l'intention de l'exécuter aussitôt que le temps sera plus sûr.
J'espère que tu m'annonceras bientôt que James est rentré dans sa pension, je vois avec peine tout le tort que peut lui faire ce retour dans ses études. Embrasse-le pour moi ainsi que sa sœur et la petite Léo ; je ne sais si Albine regrette Machy, mais pour moi je le regrette bien. Je t'embrasse et t'aime de tout mon cœur.