Mémoire remis à M. Vitet, Non datée, 1801 ou 1802

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Lieu d'expédition inconnu

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Transcription

Sans date, soit 1801 soit 1802

Avec de l'embonpoint, des couleurs et l'air de la santé, j'éprouve depuis longtemps un mal aise (sic) presque continuel et plus pénible à supporter que ne le seraient des maux décidés mais passagers.

Je vais entrer dans quelques détails sur ce que j'ai éprouvé dans le cours de ma vie et vous prie, Monsieur , de vouloir bien me dicter la conduite que je dois tenir maintenant.

Enfant, j'étais de la plus grande fraîcheur et très fort, jamais je n'avais eu ni boutons ni ce qu'on appelle Rache, à Lyon.

A l'âge de cinq ans, je fus inoculé par M. Grassot et quoique cela parut réussir parfaitement, je crois cependant que la faiblesse de mon œil droit date de cette époque.

A onze ans j'entrai dans les collèges, je ne tardai pas à partager les défauts de mes camarades et l'abus de forces qui n'existaient pas encore a contribué sans doute à me priver de celles que je devais avoir et à altérer mon tempérament et une constitution robuste ; c'est à ce malheureux penchant pour des plaisirs dangereux et à l'habitude de m'y livrer avec fureur que je dois, je n'en doute pas, une partie des maux que j'ai éprouvés depuis.

A l'âge de 12 à 13 ans, la faiblesse de mon œil droit augmentait, on attribuait les douleurs et les inflammations qui l'affectaient souvent à un coup de chapeau que j'avais reçu dans cette partie, mais je crois que cette faiblesse dans cet œil remontait à mon inoculation.

Depuis l'âge de 12 ans il ne se passait point d'année que je n'eusse deux ou trois fluxions sur cet œil, l'inflammation et des douleurs aiguës pendant un mois et quelquefois davantage l'affaiblissaient de plus en plus ; différents remèdes et des vésicatoires appliqués tantôt sur les reins, tantôt derrière les oreilles, tantôt entretemps pendant longtemps aux bras avec du bois de garon, ne faisaient que prolonger les fluxions fréquentes que j'éprouvais sur cet œil.

En 85, j'avais alors 25 ans, je consultai M. le baron de Veurel oculiste, il me conseilla de prévenir ces inflammations par des saignées ou des sangsues aussitôt que j'en étais menacé ; depuis cette époque, je me suis appliqué des sangsues aux cuisses, toutes les fois que mon œil paraissait fatigué, cela m'est arrivé au moins une fois chaque année dans le printemps et quelquefois j'ai été obligé de prendre la même précaution en automne, depuis ce temps je n'ai point eu d'inflammation longue ni de couleurs vives dans cet œil et son état m'a paru être le même quant à la vue, j'éprouve cependant depuis quelques mois seulement, que le petit nuage de la tâche qui se trouve sur cet œil prend de l'accroissement et que je vois moins qu'auparavant ; la vue de l'autre est très étendue et je n'y ai jamais ressenti le moindre mal.

A l'âge de 14 ans et jusqu'à vingt j'ai eu des boutons sur les deux tempes, ils se succédaient continuellement et au point qu'ils ont creusé et laissé des traces comme ceux de la petite vérole.

En 86 âgé de vingt-six ans et déjà marié, j'eus une première crise d'un rhumatisme qu'on a toujours dit être du nombre des rhumatismes goûteux, j'étais alors à Lyon, je restai plus de deux mois dans le lit avec des douleurs terribles qui parcouraient toutes les extrémités et les articulations de mon corps ; je fus inconcevablement purgé et émétiqué pendant le cours de cette maladie ; mon rétablissement fut assez long, depuis cette époque j'ai porté des gilets de flanelle sur la peau, je n'ai conservé aucune douleur ni sciatique.

Plus de quatre ans après et en 90, j'ai eu un pareil rhumatisme qui me retint environ un mois au lit, j'étais à Paris, M. Jean Roy l'oncle me donna ses soins, je ne fus point purgé tant que durèrent mes douleurs, elles furent moins longues et moins aiguës que la première fois ; on me purgea légèrement après ; il m'avait recommandé de faire un fréquent usage de crème de tartre et de me purger au moins tous les deux mois avec quelque tisane purgative ce que je n'ai pas fait parce qu'il est difficile de s'occuper de sa santé lorsqu'on ne souffre pas.

M. Janroy (sic) me dit que sans l'antipathie que j'avais témoignée pour la saignée, il m'aurait fait saigner dans le principe de ma maladie et qu'elle aurait été bien moins longue.

Cinq ans après environ, peu après la cessation de la grande terreur et étant à Briançon employé dans l'armée, j'éprouvai un troisième rhumatisme, je me conduisis à peu près moi-même comme je l'avais été à Paris ; cet accès fut moins long et moins douloureux que les autres ; malgré ce que m'avait dit M. Janroy, je n'osai pas me faire saigner.

Eprouvé par ces différentes maladies, par les malheurs et le chagrin, je suis fatigué par un mal aise (sic) continuel ; j'ai l'air de la santé, j'ai repris beaucoup d'embonpoint, j'ai de l'appétit et dors bien. Mais j'ai souvent de l'embarras dans la tête, quelquefois des étourdissements, peu de mémoire, une grande propension à m'assoupir pendant le jour surtout en été ; quelquefois des fluxions et maux de dents auxquels j'ai été sujet très jeune, je les ai très mauvaises, l'usage de fumer la pipe fait cependant que j'en souffre plus rarement qu'autrefois.

Souvent après avoir uriné, quelquefois même après l'instant du plaisir le plus vif, j'éprouve des douleurs assez vives dans le canal de l'urètre cependant j'ai été assez heureux pour n'avoir jamais eu la moindre maladie dans cette partie. Dans le premier cas cela m'arrive ordinairement lorsque je n'ai pas bu le matin, alors j'urine peu et éprouve des douleurs, au reste il m'arrive de ne pas en ressentir pendant plusieurs mois.

Quelquefois je me lève avec une espèce de migraine, je prends des envies de vomir, je rends des glaires et suis soulagé ; mon père qui était d'une santé robuste, était sujet à faire souvent des glaires et de la bile naturellement et se portait fort bien ensuite.

Quelquefois j'éprouve des aigreurs sur l'estomac qui sont bien pénibles.

Je ressens aussi quelques douleurs sous la plante des pieds, surtout lorsque je les ai très couverts ce qui m'arrive ordinairement dans le lit où la difficulté que j'ai à réchauffer mes pieds fait que je les couvre beaucoup ; même en été, ces douleurs au reste sont rares et peu vives.

J'ai enfin depuis plusieurs années de l'enflure aux jambes et surtout pendant les chaleurs, principalement aux chevilles ; quelquefois elle est considérable et me donne de l'inquiétude ; le soir elle est très sensible, le matin elle est dissipée.

J'ai de l'aversion pour le lait, mon père le craignait aussi ; j'ai donc regardé comme constant qu'il me fatiguerait de même, je crois bien me rappeler qu'on a essayé de me faire prendre du petit lait et qu'il ne passait pas bien. Ce qu'il y a de plus sûr cependant à cet égard, c'est que je n'aime pas le laitage, que je ne prends jamais de café au lait et que je ne me rappelle pas d'avoir jamais bu de lait pur. J'aime cependant le fromage et en mange toujours mais c'est celui qui a fermenté et le plus fort est le plus de mon goût.

J'ai maintenant quarante et un an ; quand ma tête est embarrassée, on me conseille de mettre les jambes dans de l'eau très chaude et même avec un peu de moutarde, je l'ai fait quelquefois mais l'enflure que j'ai souvent aux jambes fait que je crains d'user de ce remède.

Je ne prends point de bains depuis longtemps, persuadé que l'eau peut rappeler mes douleurs ; cependant des bains de propreté et qui contribueraient à tenir les pores ouverts et à faciliter la transpiration pourraient m'être avantageux.

Je déjeune toujours chez moi, avec du gros pain dont je mange trop, avec des noix, des amandes, des fruits quelquefois et quelquefois aussi du cervelat ou du jambon ; je bois beaucoup d'eau et de vin à mes repas et c'est un besoin auquel je ne peux résister. On m'a conseillé à cause des aigreurs qui me fatiguaient, de déjeuner avec une soupe, chose très peu de mon goût et dont je me passe volontiers tout-à-fait ; j'ai essayé cependant mais alors ne buvant pas, j'éprouve des douleurs lorsque j'ai uriné. Il me semble qu'en général je n'urine pas à proportion de ce que je dois. Le vin blanc de mon cru, bien sec et que je ne bois qu'à la seconde année est il me semble la boisson qui passe le mieux mais quoique je le boive avec de l'eau le plus souvent, on prétend qu'il peut échauffer davantage un sang très inflammable.

J'aime beaucoup le punch, les liqueurs fortes et le vin, cependant je résiste depuis longtemps à ces goûts, je bois peu de vin pur et presque jamais de vins étrangers. Je n'avais pas pris de café jusqu'à l'âge de 32 ans, depuis j'en prends une tasse après mon dîner j'ai maintenant quarante et un an.

Je mange bien à ce repas, et comme je dîne ordinairement à deux heures au plus tard, je soupe toujours mais ne mange pas de viande le soir.

En été je transpire beaucoup, surtout à la tête ce qui me dégoûte un peu des exercices pénibles.

Quelques personnes m'ont conseillé les eaux d'Aix. M. Janroy n'a jamais été de cet avis, à cause je crois du principe goûteux, qui se joint à mes douleurs de rhumatisme.

D'autres ont été d'avis de me faire faire les avis cependant étaient partagés, j'y répugnais et craignais de ne trouver dans ce moyen qu'un mal de plus.

Quelques-uns m'ont dit que l'usage des sangsues pouvait contribuer à affaiblir mon œil davantage et cependant je n'ai que ce moyen pour en détourner les inflammations.

Quant à un objet qui influe beaucoup sur la santé des hommes, j'ai senti mais trop tard le danger des mauvaises habitudes de ma jeunesse ; mon tempérament et mon goût m'ont toujours fait mettre beaucoup de prix aux jouissances passagères mais marié très jeune j'ai usé et ai cessé d'abuser.

J'ai souvent des couleurs âcres ; un sang qui circule difficilement et une lymphe épaisse sont dit-on la cause du mal aise que j'éprouve, j'ai dans la tête une pesanteur presque continuelle, quelquefois des étourdissements ; le travail du cabinet me fatigue beaucoup maintenant ; je fais peu d'exercices à pied, cependant je mène une vie très active. L'exercice du cheval me fait plaisir, il m'est salutaire et j'y monte souvent dans la belle saison. La vie de la campagne me plaît et doit convenir à ma santé, cependant je ne suis point encore accoutumé à la vie paisible qu'on y mène et à la cessation de mes occupations ordinaires.

Je vous prie, Monsieur, d'excuser la longueur de tous ces faits ; veuillez bien m'indiquer le régime, les précautions et le genre de vie les plus propres à me rendre supportable une existence que je trouve souvent pénible.


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