Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 29 mai 1801

Expéditeur : Antoine Morand
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Transcription

A Madame. Madame Morand Jouffrey. Rue St. Dominique. A Lyon
Paris, le 9 prairial vendredi

Je vois ma bonne amie que tu penses encore à ma santé, pour moi je ne m'en occupe plus et aussi je ne me rappelle pas de t'en avoir parlé dans ma précédente. J'ai remis à M. Vitet un mémoire à consulter sur lequel il me donnera son avis écrit pour me conduire à l'avenir, maintenant cela va bien, je n'ai aucun ressentiment de douleurs et j'espère bien que mes craintes n'étaient pas fondées au reste elles ont été bonnes à quelque chose puisqu'elles m'ont fait prendre des précautions ; il me semblait que ce nombre de sangsues devait m'affaiblir, mais après les avoir appliquées, M. Vitet vint me voir le surlendemain et me dit après m'avoir tâté le pouls que j'aurais pu en appliquer le double sans que cela eût été trop. Je vais prendre maintenant de la saponaise avec un peu de sel de (Vitré) et en boirai pendant une dixaine (sic) de jours. Quant à ma vie animale, elle est assez régulière, le matin à dix ou onze heures je prends une limonade et deux petits pains ; je dîne à quatorze heures et demi et ne manque des choses saines, mon dîner de presque tous les jours est un biftec (sic), un fricandeau au petit pois et la moitié d'un maquereau cela ne varie guère. Le soir avant de rentrer sur les onze heures je prends une bouteille de bière et quelques échaudés et ne bois chaque jour qu'une demi-bouteille de vin à mon dîner. C'est là ma vie de tous les jours car maintenant je ne dîne plus dehors, le moment et la saison des invitations sont passés ce qui ne me fâche pas parce que je peux aller quelque fois au spectacle je n'ai pas encore vu Le Roy de Toscane, tout le monde y court et il n'y a rien d'aussi singulier que l'empressement que témoignent des républicains pour voir un Roy ; il s'en ira sans doute pour Lyon mais il paraît devoir faire ici un long séjour.

Le préfet a demandé un congé pour venir passer quelque temps à Paris, j'imagine que le passage du comte de Livourne pourra déranger ses projets et que l'affaires des Artois le retiendra encore à Lyon, je serai bien aise qu'il y fût s'il est consulté sur l'affaire de la continuation du double péage, car comme il doit être remplacé par un des membres du conseil de préfecture, je ne voudrais pas tomber dans les mains d'un de ces messieurs. Je compte remettre après demain ou seulement le 2 de la décade, ma pétition sur ce nouvel objet.

Quant à l'autre, M. Cretet a répondu toujours très favorablement, M. Oyon beau-frère de M. Hennet a fait un premier rapport avantageux, mes pièces sont à présent dans les mains de M. Le Roy ami de M. Sergent l'intéressé au pont de la Mulatière dont je t'ai parlé, je l'ai vu hier mais il m'a dit qu'il ne pourrait s'occuper de cette affaire avant huit jours ce qui me désole, il vaut mieux cependant qu'il m'ait parlé franchement que de m'avoir mis dans le cas de me présenter inutilement dans ses bureaux. Son travail fait il en causera ensuite avec M. Le Grand qui fera le rapport au ministre et le ministre au conseil [d'État] s'il le juge nécessaire ; tout cela ma chère amie me fait encore trembler pour la longueur d'autant plus que mon séjour ici finira par devenir bien cher et déplaire à la compagnie pour cette raison ; je crois que la seconde affaire sera moins longue que la première ; sur le tout enfin je me conduis comme je le ferais si j'étais seul intéressé au pont et j'espère bien qu'on ne blâmera pas ma conduite ; il ne faut pas me plaindre de mes coassociés ; je crois qu'il est des compagnies avec lesquelles il est bien plus difficile de s'entendre. [...]

Je suis bien aise de l'arrivée de Perrin et de la manière dont tu termines avec lui puisque tu n'a pas pu mieux faire, cela servira de règle pour les filles, au reste c'est toujours une amélioration dans notre détresse et on ne peut blâmer les gens qui se contentent de cet intérêt à présent. Quant à ce que je t'avais mandé sur l'emploi je ne tarderai pas à me rappeler que cela ne pouvait pas être, sur la taxe je m'en rapporte à tout ce que tu croiras le plus convenable ; seulement je te recommande la Dlle Gouin, à cause de Jeanneton  ; quant à Molins je serais bien fâché de cette conduite rien cependant ne peut le dispenser de te répondre.

Je ne comprends pas plus que toi tout ce qui se fait pour les listes, je sais seulement que je suis de droit pour ma place sur la liste départementale, parviendrai-je ensuite à être sur la liste nationale, c'est ce dont je ne me flatte pas, mais qui est au nombre des choses possibles si j'ai des amis dans ceux qui feront partie de la liste départementale, au reste je serai bien de retour avant qu'on s'occupe de cette dernière liste et si je peux y parvenir il ne faut pas le négliger. Bien des choses de ma part à M. Second et à sa femme ; je ne vois pas trop pourquoi le moine avait caché qu'il était au conseil général de département, mais je vois bien qu'il a l'ambition de garder deux places incompatibles et de se faire une réputation, cela lui occasionnera quelque désagrément parce que décidément il ne peut pas être à la fois membre d'un conseil municipal et d'un conseil de département ; je suis bien étonné que Perron n'aye pas été te voir ; je regarde comme important pour moi d'être fort bien avec lui et ne conçois pas qu'il n'ait pas fait une visite à minette et ne m'ait pas répondu, si Grangier y est allé de ma part, sache comment il l'a reçu.

Je ne crois pas qu'on puisse rien faire de bien brillant dans le clos dont il est question joignant la maison des charpentiers ; si la compagnie fait les frais d'une clôture, je ne vois pas pourquoi tu craindrais de louer ce terrain qui va jusqu'à la grande allée et sur la largeur de celui du charpentier, pour plus longtemps ; le projet dont je t'ai parlé ne porte absolument que sur le terrain de la Glacière tel qu'il est, et entouré de quatre allées ; cette location ne peut pas avoir grande valeur mais tout ce qui amènera dans ce quartier est infiniment convenable à nos intérêts et je m'en rapporte sur ce que Mad . croira devoir décider. [...]

Quant à la Glacière il faudrait pouvoir en porter la location à 500# mais Fortune n'y viendra pas, cependant elle rendait davantage autrefois, ma mère en a retiré 700# tout frais déduits et Fortune faisant la vente par lui-même pourrait y trouver grand avantage à 400#. Tâche d'arranger cela, un bail pour cet objet ne nuit point au reste parce qu'il faut toujours réserver, dans le jardin qu'on fera, un chemin à voitures pour remplir et vider la Glacière.

J'embrasse mes enfants et ai reçu leurs lettres avec plaisir, il me paraît que l'entorse de James dure bien longtemps et qu'il y avait plus de mal que Mad. minette ne me l'avait dit, si elle donne le mauvais exemple de ne pas dire la vérité je chercherai les occasions de me venger.

Il me paraît que madame aime toujours beaucoup le trictrac ; excepté avec son mari. Si j'avais su de rester si longtemps à Paris je me serais fait donner des leçons pour devenir assez fort pour qu'on eût daigné faire une partie, mais mes efforts auraient bien pu être sans succès, les jours de Loyasse sont passés et le mari fût-il plus fort serait toujours mis de côté. Le messager de Mad. Vial n'est ni jeune ni incroyable mais je n'aimerai jamais les gens que vous aimez beaucoup.

J'ai écrit à M. de Laurencin et compte beaucoup sur la connaissance qu'il m'a fait faire ; j'embrasse Léo et sa mère de tout mon cœur, c'est maintenant que j'ai besoin de m'étourdir pour prendre patience et je ne suis pas encore décidé à ce que je ferai d'extraordinaire pour me défriser. Si Mad. de Quinson était ici elle me donnerait des idées et des exemples. M. Narbonne m'a dit hier que tu avais prêté ton équipage à sa femme . Adieu ma bonne amie.


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