Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 1 mai 1801

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey hôtel de Portugal rue du Mail à Paris.
Grenoble, 11 floréal an 9 [1er mai 1801]

Pourquoi mon cher fils ? me donner de l'inquiétude sur votre santé à de si grandes distances, j'ai fait usage de mes premières forces pour vous écrire de fort longues lettres, pour vous en adresser et annoncer d'autres, que je croyais pouvoir être utiles à vos intérêts et je ne reçois point de réponse. Vous connaissez la tête et le coeur de votre mère, et vous savez bien que l'un et l'autre la tourmentent lorsqu'elle est en peine de ceux qui lui sont chers.

Il y a quelques jours que M. Durand m'a communiqué un article d'une lettre de M. Gadi , infiniment obligeant sur votre compte, il le remercie de lui avoir procuré votre connaissance, il paraît prendre le plus vif intérêt à nos malheurs et avoir le désir de vous servir ; il croit que vous réussirez mais il craint que votre affaire n'éprouve des longueurs ; je souffre de vous sentir séparé de votre famille et obligé de négliger vos affaires. Cette lettre à M. Durand ne m'a point rassurée sur votre santé. Auriez-vous repris un mal d'œil ? un rhumatisme ? mais celle qui m'a le plus inquiétée est une que M. Morard de Gale a écrite à Mme sa sœur qui lui marque qu'il n'a point eu le plaisir de vous voir, qu'il en aurait beaucoup à vous être utile, et que s'il avait su votre adresse il aurait été vous chercher. Ne négligez point de l'aller voir il peut vous servir tôt ou tard. Mme sa sœur l'avait intéressé en votre faveur en lui parlant de la bonne réception que j'avais faite à son neveu, elle a de l'attachement pour votre tante , et m'a témoigné de l'amitié. Je vous en ai assez dit dans ma précédente lettre pour que vous puissiez lier conversation intéressante avec M. de Galle , allez le voir aussitôt cette lettre reçue, vous pourrez débuter par des remerciements sur celle qu'il a écrite à Mme sa sœur. Vous ne m'avez point parlé non plus de la réception de l'ami de M. de Saint-Aubin , avez-vous aussi négligé de faire sa connaissance ou n'avez-vous pas pu y aller ? Vous voyez que j'ai raison de m'inquiéter, je n'ai reçu aucune nouvelle de Lyon depuis que je vous ai écrit, M. Dubois qui doit en arriver demain ou après demain m'en apportera j'espère de bonnes de tous ceux qui me sont chers.

Ma santé se rétablit bien insensiblement, jamais je n'avais éprouvé un si long passage de la maladie à la santé. Les années, le chagrin produisent leur effet, je fais ce que je peux pour me distraire, sans y réussir, je vois tout avec indifférence, l'idée du plaisir m'est étrangère, à peine goûté-je celui du retour de la belle saison, j'ai cependant repris de l'appétit et un peu de sommeil, il paraît que dieu veut prolonger ma triste existence, je dois l'en remercier, puisqu'elle est le plus grand des biens connus.

Trois jours après le départ de votre sœur pour la campagne, elle est revenue avec sa fille aînée , qui avait pris la fièvre, elle est presque dissipée ayant été fortement évacuée, et bien à temps sans quoi elle aurait pu faire une maladie sérieuse, Auguste se porte assez bien mais toujours un peu sourd ce qui est à mon avis bien inquiétant. Besson m'a dit avoir reçu de vos nouvelles, vous avoir donné des miennes et des commissions pour lui intéressantes ; écrivez-moi mon fils le plus souvent que vous pourrez, adoucissons les peines de l'absence quoique un peu causeuse de mon naturel je n'ai plus de goût à l'être si l'on ne me répond pas. Parlez-moi de vos affaires, de nos amis. On m'a dit que vous logiez dans le même hôtel où logent aussi Mesdames Basset et Quinçon , je prends intérêt à toutes deux j'aime la seconde, on dit que la première est bien mal.

Votre tante se porte assez bien, elle vous fait mille compliments. Elle partage mes inquiétudes. Mlle Contat est dans cette ville. Elle est extrêmement suivie, on admire son talent, mais elle n'est point secondée. On a dans cette ville comme à Lyon le goût du plaisir et de la paresse, les femmes y sont de la plus grande élégance et très avides des nouvelles modes. Celle des robes en [soie ?] commencent à revenir, en porte-t-on à Paris ? je prends intérêt à celle-là parce qu'elle serait utile à ma malheureuse patrie. Revenez-y le plutôt que vous pourrez, et après quelque repos, et le coup d'œil donné à vos affaires. Venez recevoir les embrassements de tant d'êtres qui vous sont chers et ceux de votre bonne mère qui vous désire depuis si longtemps.


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