Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 23 avril 1801

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Transcription

Sans adresse
Paris le 3 floréal, à minuit, partie le 4 [23 avril 1801]

Notre caissier sans caisse, ma chère amie , me mande qu'il est persécuté par le c.en [citoyen] Feronssat pour payer les contributions échues pour le pont ; je n'ai pas ici les papiers qui me seront nécessaires pour adresser au préfet une pétition sur cet objet ; je ne pourrai pas non plus faire valoir nos moyens auprès des conseillers de préfecture si l'affaire se décide en mon absence, et tu sais que mes coassociés comptant absolument sur l'intérêt que j'ai malheureusement dans cette affaire, ne feront à cet égard aucune démarche.

Au reste comme je ne pourrai respecter ce que renferment nos premières pétitions ; que le préfet connaît parfaitement notre situation et est convaincu de la justice de venir à notre secours, je te prie aussitôt ma lettre reçue d'aller le voir et de lui remettre la lettre ci-jointe que je lui adresse avec la note qui y est incluse, et je ne doute pas qu'il ne fasse cesser les poursuites du c.en Feronssat jusqu'à ce que l'on ait fait droit sur nos demandes, parce que cela est de toute justice.

J'ai écrit à M. de Verninac aussitôt que j'ai été instruit par le ministre de ma nomination, pour le remercier d'avoir pensé à moi, renouvelle-lui je te prie tous mes remerciements et fais-lui part de la situation où je me trouve dans l'affaire qui m'a conduit à Paris, en le priant de ne pas en parler puisque tu sais que mes amis mêmes verraient peut-être avec quelque peine que justice entière nous fût rendue, par la crainte d'un bien modique accroissement de contribution sur leurs immeubles ; quant au préfet , je suis bien sûr que, comme plusieurs conseillers d'État, ce ne sera pas de petites considérations de ce genre qui l'empêcheront de voter en notre faveur si nos réclamations lui paraissent fondées.

Tu sais ma chère amie , que je ne venais à Paris que dans l'intention de solliciter l'exemption pendant vingt ans, que le préfet avait bien voulu demander pour nous, mais que la construction prochaine des ponts de Paris a mis dans le cas les conseillers d'État de la section de l'Intérieur de ne pas vouloir que je demandasse une exemption, qui établissait que la contribution foncière devait peser sur le péage des ponts ; qu'en conséquence j'ai été obligé de changer l'objet de ma demande et de savoir si le produit d'un péage qui n'est que le remboursement des sommes avancées pour construire et entretenir un pont qui après un temps déterminé est à la nation, peut être taxé à une contribution foncière. Fais faire une copie du mémoire que j'ai remis au ministre de l'intérieur et que j'ai envoyé il y a quelques jours à nos coassociés et laisse le à M. de Verminac en le priant de le lire, indépendamment qu'il m'importe qu'il en ait connaissance. Pour répondre aux ministres, je serai bien aise qu'il te dît ce qu'il pense de cette affaire car tu as vu pour mes différentes lettres que quoique cela soit bien conforme à ce que j'ai toujours demandé, je n'aurais cependant pas changé de marche si j'en avait été le maître.

J'ai été le vingt-six du mois dernier chez le ministre des finances avec Rollin et M. Duchesne son parent, qui est aussi tribun, je lui parlai très longuement de cette affaire et je fus beaucoup plus content du ministre que du premier commis qui persiste toujours à me dire, tout ce qui rend un produit quelconque doit payer contribution, et ne veut pas absolument examiner avec moi, si l'on peut considérer comme revenu le remboursement de capitaux avancés pour construire un objet d'utilité publique et dont la propriété est à la nation. Quant au ministre il convient qu'il doit y avoir une différence entre ce remboursement insensible et une pleine propriété et il nous a promis de soumettre la question au conseil d'État, mais j'ai bien prévu que le rapport se ressente de la prévention du chef de bureau et ne soit pas à notre avantage sur la non imposition, quant à l'exemption demandée pour nous elle lui paraît juste et dans mon petit mémoire je tâcherai bien d'annoncer que je ne renonce pas à cette demande.

Chez le ministre de l'intérieur et plusieurs conseillers d'État, l'affaire des ponts paraît de toute justice ; j'ai conféré avec MM. Le Coulteux de Cauteleu , Fulchiron , Récamier et autres banquiers qui sont les colonnes de la compagnie qui se forme pour les ponts de Paris et qui soutiendront bien auprès de plusieurs conseillers d'État et du consul Lebrun , la demande qu'on me fait former ; je t'avoue donc de bien bonne foi que balancé entre la crainte d'échouer et l'espérance de réussir, je mène une vie agitée qui ne convient point à mon goût pour la tranquillité, et malgré les distractions que peut offrir la capitale, j'attends avec impatience le moment de pouvoir aller te retrouver et m'occuper d'agriculture à Machy.

Je suis tout triste, je t'assure, de voir de mes amis au moment de leur départ et de ne pouvoir en faire autant, M. Pernon va bientôt reprendre la route de Lyon. M. Galet dont enfin l'affaire est décidément finie est aussi au moment de partir, il faut espérer que mon terme arrivera cependant.

J'imagine que tes premières lettres me parleront un peu en détail du froid qu'il a fait de nos côtés, ta dernière me parlait de neige et je crains bien que nous ne manquions pas de cerises ni d'abricots. Il faudra s'en consoler si les vignes n'ont pas de mal. Je t'embrasse de tout mon cœur, ainsi que nos enfants, j'espère que le bon air que vous avez respiré pendant quelques jours vous a fait du bien à tous. Il fait très beau depuis 8 jours ; ne m'oublie pas auprès de Jaumes quand tu iras voir le préfet , adieu je vais me coucher.

Le 4 à 7h du matin jeudi.

Il m'a été impossible hier ma chère amie de faire tout le barbouillage que je t'envoie pour partir par le courrier ; comme je te le dis dans la lettre ci-jointe j'ai été très content du ministre des finances mais ce n'est pas lui qui fera le rapport et le premier commis est un diable que je ne sais vraiment comment ramener. Aussitôt ma lettre reçue fais copier le mémoire que je t'ai adressé pour la compagnie ; il y a déjà longtemps mais tu ne diras pas au préfet que l'envoi en est ancien, il est minuté, mais bien écrit il doit falloir deux feuilles pour le transcrire, il est inutile de faire copier la pétition au ministre de l'intérieur qui y est jointe mais seulement le mémoire intitulé « Observations pour les constructeurs du pont en bois sur le Rhône connu à Lyon sous le nom de Pont Morand » que je t'envoyai pour communiquer à nos associés et que tu as sûrement gardé. Toute réflexion faite quoi qu'il doive en coûter de port, je t'envoie la copie qui en reste, cela avancera d'un jour la démarche que tu feras auprès du préfet , il serait d'ailleurs possible que l'autre fût dans les mains de quelque associé. Mets dans ton sac la lettre que je lui adresse pour obtenir de lui un ordre qui empêche Feronssat de nous fatiguer ; après l'avoir lue et cachetée tu la lui remettras d'abord de ma part, ensuite tu lui donneras la copie du mémoire ci-joint et pour lui rendre compte de ma position tu lui liras tout bonnement la lettre que je t'ai écrite ci-jointe, elle ne paraît pas être faite pour lui être communiquée mais je crois qu'elle ne peut que faire un bon effet aujourd'hui et lui prouver ta confiance entière ; quant tu en seras à l'endroit où je parle du secret, tu peux bien lui faire entendre, quand même tu serais obligée de désigner le moine , que ce que je crains beaucoup est de trouver des oppositions parmi ceux qui trouvent fort doux de faire porter sur les ponts une partie de contribution foncière à laquelle mon père n'avait jamais dû s'attendre lorsqu'il s'était chargé de construire un pont en diminuant le péage qui se percevait dans les trailles.

Je serai bien aise de connaître l'avis du préfet sur tout cela ; j'ai eu grand tort de ne pas te prier de lui communiquer tout de suite ma marche comme j'en avais alors envie, j'ai la certitude qu'on lui a écrit, qu'il a répondu et comme j'imagine qu'il ne t'en fera pas un secret tu verras ensuite s'il y a moyen de connaître dans ses bureaux la demande et la réponse ; peut-être ne trouvera-t-il point d'inconvénient à t'en donner communication et alors tu m'en instruiras, je pense que Jaumes te servirait pour t'en donner copie, au reste peut-être tout naturellement le préfet t'en parlera, fera appeler un secrétaire pour t'en donner connaissance et alors s'il ne te paraît pas nécessaire d'en avoir copie tu me diras seulement en substance ce qu'on lui a écrit et ce qu'il a répondu.

Il faut aller à deux heures chez le préfet en montant du côté du grand escalier, je ne doute pas qu'il ne te reçoive bien, et que tu n'aies tout le temps de lui parler en détail de tout cela ; tu laisseras cette demi-feuille chez toi et ne prendras avec les autres papiers que la lettre que tu peux lui lire à peu près toute entière comme tu le verras.

Je crains bien que malgré toutes mes précautions, mon affaire maintenant ne soit bien connue à Lyon, et je ne sais comment le préfet aura pris ce changement dans ma marche, c'est ce que tu me diras, tu sens qu'il importe qu'il soit instruit des motifs qui m'ont obligé d'en changer. [...]


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