Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 17 mars 1801

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Transcription

Au citoyen Morand de Jouffrey, hôtel de Portugal, rue du mail, à Paris.
Grenoble le 26 ventôse an 9

« Je fais usage, mon cher fils , de mes premières forces pour vous rassurer sur ma santé,ma fille m'a communiqué votre lettre, je me suis chargée d'y répondre. Je crois toucher enfin à mon vrai rétablissement s'il y peut y en avoir un durable pour une santé détruite par de si longs chagrins. Je fais usage du saly, des bouillons de grenouille pour restaurer ma poitrine toujours souffrante et me flatte de pouvoir sortir en voiture ces jours-cy. Je suis surprise que vous l'ayez été de ma maladie, avant votre départ, crainte de vous inquiéter et peu en état d'écrire, je fis un effort en votre faveur, en vous marquant cependant que j'étais malade et que ma lettre se sentait de mon état, de par votre réponse, vous n'en avez point paru occupé, vous ne m'annonçâtes point de m'envoyer l'argent que vous me deviez, quoique je vous eusse marqué que j'en avais le plus grand besoin. Vous m'envoyez pour toute réponse un état de situation, que je vous avais dit bien inutile. Vous n'avez pas fait attention à celle où vous me réduisez en me privant de mes revenus aux époques convenues, vous ne craignez pas de me jeter dans la plus grande détresse, votre lettre, cet abandon, cet état (que je ne lirai pas longtemps) ont ajouté à mes maux et dans des insomnies que me procurent la fièvre lente qui me consumait. J'accusais douloureusement votre insensibilité, votre persévérance à me tourmenter bien inutilement et me plaignais de ce fils chéri dont j'avais tant de droit d'attendre des consolations, manquant de tout ne sachant plus de qui emprunter. Votre femme ayant écrit à ma sœur qu'elle ne pouvait pas envoyer si tôt et parlant encore d'un acompte, je m'adressai au brave Tisseur qui me répondit courrier par courrier qu'il mettrait chez M. Desgrange la somme de 603# demandés, qui avec les cent vingt-cinq livres que j'ai données pour Albine feront le solde des trois mois que vous me devez depuis le 24 décembre.

La mauvaise saison que vous avez éprouvée en route m'a fort inquiétée ainsi que votre silence à tarder de me donner des nouvelles de votre arrivée à Paris. Je partage vos sollicitudes sur la crainte que vous avez de ne pas réussir. Mais je me rassure sur la légitimité de nos demandes, et nos moyens de les faire valoir. Quoique malade je n'ai négligé aucune de vos commissions. Pour y avoir eu beaucoup de succès. Le jour même où je reçus votre lettre j'envoyai prier M. Hélie de venir me voir. Je lui fis part des articles de votre lettre (il était avec Mme Duclos) qui concernaient les affaires de la compagnie. Et j'insistai sur ce que M. son père vous envoyât les lettres qu'il vous avait promises. Il me répondit que toutes leurs espérances étaient en M. Perrier qui venait de mourir. Que son père n'avait plus aucune connaissance chez les ministres ; cependant à force de lui faire sentir qu'il devait l'exciter à chercher dans leurs connaissances des recommandations qui pussent vous être utiles, ils me promirent de m'envoyer des lettres, ou de vous les faire parvenir directement. Je renvoyais quelques jours après, quelle fut ma surprise, lorsque Mme Hélie vint me dire que l'on vous avait écrit pour vous recommander de beaucoup voir M. Derolin . Je lui répondis qu'après leur avoir lu l'article de ma lettre qui parlait de lui, c'était là chose inutile. Et que M. Rolin sans avoir égard au petit intérêt qu'il avait au pont ferait tout ce qu'il pourrait pour vous obliger personnellement, paraissant avoir pour vous de l'amitié et même de la considération pour vos talents. Elle m'a quittée en me promettant des démarches auprès du préfet pour avoir une lettre pour le ministre de l'intérieur , et une pour Mme Teisseire nièce de M. Cretet conseiller d'État chez qui elle loge ou pour son frère que l'on m'a dit être intelligent, avoir le désir d'obliger mais il est en sens inverse de l'aristocratie. Je ne les ai pas revus. L'abbé va partir pour l'Italie joindre la combe Saint-Michel. Il est toujours si occupé de ses plaisirs qu'il est incapable de l'être d'autre chose. Et l'aîné est toujours à la campagne. Vous êtes mon fils réduit avec de semblables associés à vos propres forces, et quoique vous n'en paraissiez pas content, j'espère qu'elles doubleront en les exerçant, et que vous vaincrez enfin votre dégoût pour le travail en pensant à celui qu'a fait votre infortuné père pendant cinquante années, mis près de dix à solliciter le privilège de bâtir ce pont, pour lequel vous allez solliciter la justice du gouvernement. Votre pétition, l'avis du conseil de la commune, l'exemption des impositions pour les maisons démolies, doivent vous l'obtenir en causant avec un homme d'esprit et de mérite qui a de l'amitié pour moi. J'ai découvert qu'il avait à Paris une fort bonne connaissance. Qui était en relation avec différents ministres et surtout chez celui de l'intérieur . Il m'a dit que c'était un homme d'un vrai mérite, fort intelligent dans les affaires, ne craignant pas d'entrer dans les plus petits détails pour les faire réussir, qui avait même été employé pour des commissions données par le gouvernement connus des chefs de bureau, vous savez que ce sont ceux-là qui font réussir. Il lui a écrit une lettre en votre faveur d'après tout ce que je lui ai dit le plus fait pour l'intéresser, elle est partie avant-hier. Il l'a instruit du sujet de votre voyage. Il sait que votre père était un homme de génie, une victime de la révolution et comme il est bien pensant, nos malheurs ajouteront à l'intérêt que lui donne la recommandation. Vous pouvez donc, ma lettre reçue, aller avec confiance de la part de M. Durand son ami chez M. Auguste Gadi du calvados officier invalide 3ème section, place Thionville n°7 maison de M. Julien. Je souhaite que cette lettre arrive à temps pour vous être utile ; après l'avoir intéressé par vous-même et gagné sa confiance, et jugé de ses moyens, de son crédit, vous pourriez dans la suite savoir s'il est connu du ministre de la justice pour ce qui vous regarde personnellement, son ami ne m'a parlé que de celui de la guerre mais nous sommes pacifiques et ne voulons que la paix générale et particulière. Je n'avais point négligé votre commission auprès de votre sœur pour que Besson écrivit à M. H Aribert , je le vois peu parce qu'il est souvent à la campagne. Il me l'a promis ainsi que votre sœur qui vous l'a écrit vous avez fait fort adroitement l'article de votre lettre. Hier encore on m'a promis d'écrire aujourd'hui. J'ai vu hier M. Malin leur ami et voisin de campagne, frère du législateur, qui m'a dit que vous pouviez vous présenter avec confiance chez lui, s'il pouvait vous être utile comme beau-frère de Besson , pour une affaire où il se trouve être intéressé. Il m'a promis de lui parler de vous qu'il connaît déjà de nom dans la première lettre qu'il lui écrira demain ou après demain. Mais il craint que les législateurs soient au moment de la fin de leurs fonctions, M. Malin annonçant son prochain retour. Qu'il était cependant à présumer que la multiplicité des affaires les leur feraient prolonger. Malgré ma faiblesse je crois que je trouverais encore toute mon activité si je pouvais être utile à mes enfants. Je serais bien moins malheureuse si vous étiez occupé de mon bonheur comme je le suis du vôtre. Votre séjour de Paris doit vous faire penser à cette bonne mère à ce bon père et vous rappeler leur sollicitude pour vous, leurs sacrifices dans un temps où privés de tous revenus employés à payer leurs arrérages, ils n'étaient soutenus que par leurs espérances. Si vous étiez occupé de ces idées oseriez-vous vous plaindre quoique vous croyiez que votre bonheur vous ait abandonné. N'en est-ce pas un que d'être à Paris au moment de la signature de la paix, il me semble que les habitants doivent être ivres de joie, et que les espérances de retour de la prospérité publique fondées sur les ressources du génie qui nous gouverne, doit rendre les ministres, les autorités publiques plus accessibles aux justes réclamations qui leur sont adressées. Voilà mon fils une bien longue lettre pour une convalescente. Je m'oublie dans le plaisir de causer avec vous, et trouve toujours des forces dans ce que je croire utile à vos intérêts. Mes compliments à mes anciens . Si je n'eusse été malade depuis mon retour de Lyon, j'aurais Mlle Dodieu au sujet de la mort du pauvre Hector. Vous vez sans doute dit que c'est vous qui me l'avez appris étant à Lyon au temps de la Toussaint. Soyez exact à me donner de vos nouvelles, à me faire payer toute la somme que vous me devrez bientôt, je dois environ neuf cents livres qu'il m'est indispensable de payer. Ma sœur vous fait mille amitiés, recevez l'assurance de la tendresse de votre bonne mère Levet Morand .


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