Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 14 mars 1801

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Transcription

N°8/ Lettre d'Antoine à Magdeleine
Paris le 23 ventôse an 9

Fait allusion au fait que ses coassociés se plaignent de n'avoir pas de nouvelles depuis un mois qu'il est à Paris. En promet, mais en attendant lui donne des nouvelles à elle.

[...] En attendant ma chère amie , il est bien juste qu'enfin je te rende compte à toi de ma marche et de mes espérances, je vais t'en dire un mot pour que tu puisses les partager mais je t'avoue que j'aurais bien désiré s'il avait été possible d'attendre le succès pour parler, dans la crainte que je conserve toujours de ne pas réussir.

Tu connais tous les papiers dont j'étais porteur ; l'exemption de l'impôt pendant 20 ans était la seule chose que je pouvais demander ; avant que de suivre mon affaire j'ai heureusement tâté le terrain et entendu parler bien des gens. Un d'eux fit une grimace épouvantable à cette proposition et comme il est un de ceux qui peut décider la chose, cette grimace-là m'en fit faire une autre qui ne devait pas être plus agréable.

Il faut bien se garder de demander l'exemption d'une chose qu'on ne doit pas payer, dit-il (après un instant de grimace prolongée), jamais une propriété de ce genre n'a dû être imposée à une contribution foncière, ajouta-t-il en me fixant ; alors le sourire succéda chez moi à ma grimace et nous fûmes bientôt d'accord. Mais il fallait changer ma marche, et je craignais en formant cette demande de nuire à celle qui était appuyée des pièces que je rapportais. Ce que je viens de développer dans un mémoire qui est maintenant dans les mains du Conseiller d'Etat chargé d'en faire le rapport au ministre de l'intérieur n'est au reste que ce que j'ai toujours soutenu dans les pétitions différentes que j'ai présentées soit au département, soit au préfet , soit au conseil municipal. Car j'avais toujours représenté qu'une simple jouissance de ce genre ne pouvait être imposée ; je l'avais soutenu inutilement à Lyon où l'on trouvait fort doux de faire retomber sur les ponts une portion quelconque de la contribution foncière ; peut-être le soutiendrai-je avec plus d'avantage à Paris où le gouvernement a qui tout cela est égal au fond, peut désirer de nous rendre justice pour faciliter la formation des compagnies qui vont en ce moment construire trois ponts payants, sur la Seine, tu as sans doute vu dans les journaux le loi qui a été rendue sur cet objet.

Il résulterait donc, ma chère amie , de ce changement dans nos demandes que nous ne pourrions plus être imposés, au lieu d'une exemption de vingt ans seulement et tu sens combien il y a à gagner à cette différence, combien surtout elle serait avantageuse en ce qu'elle donnerait une valeur réelle aux actions. L'objet que je venais solliciter aurait exigé une loi et il devenait impossible de l'obtenir cette session. Ce que je demande à présent ne donnerait lieu qu'à un arrêté des consuls pris sur l'avis du conseil et avec un peu de temps et de patience on peut en venir à bout ; telles sont ma chère minette les espérances dont je me borne, il faut que cela soit secret, cependant je sens qu'il est nécessaire de les communiquer à mes coassociés, en conséquence je t'écrirai tous ces détails d'une manière ostensible et dans quelques jours seulement, jusque-là n'en parle à personne.

J'ai interrompu ma lettre un moment pour déjeuner, car il est dix heures et par grand extraordinaire, je ne compte sortir aujourd'hui qu'à midi ; j'ai du vin dans ma chambre, j'ai acheté une langue scarlatine et depuis 8 à 10 jours, je déjeune solidement. Je dîne à quatre heures et souvent à cinq ; je vais au spectacle le plus que je peux, il est ordinairement plus douze heures quand je rentre, je fais du thé j'y trempe une croûte de pain, j'écris, je fume plus d'une pipe, et vais me coucher tristement entre minuit et une heure, pour me lever à sept heures du matin. Cette vie agitée et isolée ne me convient nullement, cependant je me porte bien et si je réussis à l'objet de mon voyage et que je puisse retourner bientôt à Machy mon ambition sera satisfaite.

J'ai reçu hier une lettre de ma sœur qui me tranquillise [...]. … tu me rappellerais ce que j'ai souffert ; personne, que moi, ne peut avoir idée du mal intérieur qu'elle me fait, lorsqu'il lui aurait été si aisé de concourir à me consoler de la perte de mon malheureux père…

Je te fais passer une petite lettre de Mme de Quinson , hier nous avons été à l'opéra ensemble pour la seconde fois ; son seigneur et maître n'est pas content de son absence, il ne lui en coûte pas un sou cependant, il faut convenir que s'il n'est pas possible de trouver un mari aimable en tout point, on ne devrait pas être exposé au moins à en trouver d'aussi bourru. [...]


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