Lettre d'Antoine à sa mère Antoinette, 23 février 1802

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Lyon

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Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_35_2_1802_02_23_1.jpg
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Transcription

A Madame Morand Rue Brocherie à Grenoble.
(Lyon) Vendredi soir 4 ventôse 9 à 10h du soir

J'apprends à l'instant, ma chère maman , que M. Dubois part demain de bonne heure et je ne veux pas aller me coucher sans vous écrire un mot que je lui enverrai demain de grand matin.

Il y a longtemps que vous n'avez eu directement de mes nouvelles, mais j'ai eu des vôtres par les lettres que vous avez bien voulu écrire à vos petits-enfants et ai su avec grand plaisir que cet hiver vous n'aviez pas été fatiguée comme à l'ordinaire, par ces rhumes qui sont pour vous des maladies bien pénibles ; deux mois de Machy chaque année et vous éprouverez toujours cet heureux changement, voilà mon ordonnance, puissiez vous y avoir confiance et la suivre !

Si je ne vous ai pas écrit c'est que je suis triste et n'avais rien d'agréable à vous mander ; il y a trois semaines environ qu'on a nommé à la place de M. Ravier juge du tribunal d'appel mort il y a deux mois environ, et contre toute attente, ce n'est pas moi qui ai été nommé, tout le monde ici en est fâché, et je peux je crois sans trop d'amour propre, parce qu'on y a nommé un étranger qui n'est pas même du ressort du tribunal d'appel. Il paraît qu'une grande protection (on croit que c'est celle du second consul) a forcé la main au grand juge qui du moins l'a dit pour s'excuser à ceux qui prenaient intérêt à moi et à qui il avait promis que cette place ne serait pas donnée à un autre. Le tribunal de Lyon entier avait écrit à ce ministre pour me réclamer et cette lettre est une consolation dans mon malheur.

Un M. Bouteville membre du tribunat et devant en sortir incessamment désirait une place à Amiens son pays ; un M. Achet littérateur qui a traduit Plutarque, juge d'appel à Amiens désirait depuis longtemps venir à Lyon où sa fille est mariée au payeur de la division militaire ; ces deux messieurs se sont arrangés, les protections des deux hommes se sont réunies pour agir et M. Achet homme de 67 à 68 ans dit-on, vient prendre la place de M. Ravier et M. Bouteville celle de M. Achet à Amiens, voilà un arrangement qui ne m'arrange pas du tout.

Dans mon premier moment d'humeur je voulais donner ma démission, mais c'était manquer à mes confrères et me punir moi-même ; je reste donc, j'ai encore près de trois ans et peut-être se trouvera-t-il quelque occasion où je serai moins malheureux. Pardon de tout ce détail que je renvoyais toujours de vous faire parce que je sais que vous partagez mes peines.

Nous venons de décider à la compagnie du pont d'acheter le terrain de l'hôtel de vengeance pour s'assurer qu'on n'y rebâtisse pas et pour pouvoir prolonger la grande allée, il faut que cette délibération à laquelle je tiens fort, soit approuvée par les actionnaires en conséquence je l'ai motivée tant que j'ai pu pour engager ces messieurs à signer. Si elle m'est envoyée demain avant le départ de M. Dubois , je la joindrai à cette lettre et vous voudrez bien la faire parvenir à M. Hélie  ; dans le cas où elle lui serait envoyée par la poste je lui écrirais un petit billet pour l'engager à vous voir et vous communiquer cette délibération sous prétexte de vous faire part d'une chose qui vous sera agréable mais surtout pour que s'il hésitait vous puissiez lui faire des observations et lui faire sentir combien cela est important pour nous. Il y a eu un moment où la compagnie offrait dix M. livres pour la mettre à terre, il ne faut donc pas trouver mauvais qu'on exige 6 M. livres pour ne pas la reconstruire ; je vous avoue que je craignais que quelque ennemi de notre projet et il n'en manque pas, n'achetasse ce sol pour [...] faire enrager ou bien que quelque spéculateur ne s'en empare pour le clore et nous le faire payer bien cher.

James est venu nous voir hier, il se porte bien et on continue à être content de lui. Albine et Léo sont aussi en bonne santé tous ces enfants et leur mère me chargent ou m'ont chargé avant de rentrer au lycée et de s'aller coucher de vous embrasser bien fort ainsi que la tatan . Mille choses de ma part à Eléonore , je comptais bien lui écrire par M. Dubois pour chercher à me raccommoder avec elle car j'ai bien des torts mais comme je ne peux encore les réparer dans cette circonstance ne parlez pas je vous prie de mon intention il faut des faits et non pas des paroles.

Veuillez bien tirer sur M. Desgranges 600#, j'attendais toujours de pouvoir vous faire passer toute la somme mais cela s'éloignait encore ; je n'ai rien touché sur le pont et ne toucherai rien que vous ne soyez payée ; je vous embrasse de tout mon cœur et vais me coucher ; demain en sortant du palais je compte aller à Machy où je n'ai pas été depuis un mois.


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