Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 28 décembre 1800

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

Facsimilés

Si le zoom ne fonctionne pas sur votre navigateur : cliquer sur l'image
Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_31_1_1800_12_28_1.jpg
Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_31_1_1800_12_28_2.jpg

Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey rue Saint-Dominique n°66, à Lyon.
Grenoble 7 nivôse an 9

J'ai reçu, mon cher fils , avant-hier une lettre de M. Mayeuvre mon ancien ami qui en a vraiment le langage, il me remercie de le mettre à même de m'en donner des preuves, il me dit qu'il ne peut présenter la demande de ma pétition sans nuire à nos intérêts. Que la clause impérative de l'acte (qui dit que sans que sous aucun prétexte le d sr Morand puisse en espérer une plus longue jouissance ni faire aucune répétition etc.) la ferait rejeter de tous les gens de loi qui sont dans l'assemblée, qu'ayant une demande très légitime pour un objet bien plus majeur telle que la prorogation du doublement du péage du pont, la décharge de l'excès d'imposition dont il est grevé, il serait impolitique d'affaiblir pour ainsi dire le poids de cette légitimité par une demande qui serait sûrement refusée, et qui le serait sans injustice.

Il ajoute que nos efforts doivent se concentrer dans tout ce qui peut concourir au rétablissement du pont. Que sous ce point de vue il appuiera de tout son pouvoir l'avis qui doit émaner du conseil municipal, et que j'ai l'avantage que l'utilité publique coïncide avec mon intérêt particulier.

Que ce conseil et ce que lui dicte son amitié pour moi et la franchise qu'il sait bien ne me pas déplaire, il aurait désiré que la nature de cette affaire lui eut permis de plaider la cause de son amie, il l'aurait embrassé avec le zèle qui émane du sentiment, toutes les expressions de sa lettre prouvent que mes malheurs n'ont fait que redoubler son désir de me donner des preuves d'attachement.

Vous voyez mon fils qu'avec cette tournure dont il paraît pénétré, il faut le remercier, et être persuadé qu'il nous servira chaudement dans l'affaire du pont, alors votre pétition et surtout ma lettre n'auront pas été infructueuses, puisque vous êtes persuadé qu'il peut influencer l'opinion de l'Assemblée. Ma lettre reçue, allez le voir, dites lui que par discrétion je n'ai pas répondu à sa réponse, que son amie est convaincue qu'il ne veut la servir que pour son plus grand intérêt, que connaissant des moyens pour réussir, elle se flatte du succès. Mais que quel qu'il soit il est bien consolant d'éprouver que ses malheurs n'ont pas été l'écueil de son amitié.

Je me féliciterai mon fils d'avoir échoué dans ma première demande si la seconde est plus utile à vos intérêts, ce qu'on ne peut mettre en doute quoiqu'il en résultât un plus direct pour moi par l'augmentation prochaine de mes rentes à la somme qu'on les a limitées. Je ne peux vous devoir, ainsi que vous me l'avez dit dans votre dernière lettre, l'année que vous n'avez pas joui des petites boutiques. Je ne voulais pas d'abord vous les abandonner. Je le fis fatiguée de demander par ma facilité ordinaire à vous céder mes intérêts. Je n'ai pu les donner que comme je les avais, et s'il y eut une année de plus comme elle a été de moins je ne l'aurais pas réclamée.

Quant aux 125 livres que vous me dites que vous étiez en droit de me retenir pour l'emprunt des cent millions. Je ne puis voir comme vous y seriez fondé, puisque dans votre arrangement il y a pour toutes charges créées ou à créer, et que j'ai été assez heureuse pour vous empêcher de payer ici ce que vous vouliez à votre décharge. Mais comme (malgré que je sois arriérée) j'avais formé le projet de donner cent livres pour que ma chère Albine pût prendre vingt leçons de M. Jadin , je veux bien y ajouter encore vingt-cinq livres qui lui seront plus profitables puisqu'il y en aura cinq de plus. Je comprends qu'il est difficile de prendre son parti sur un maître si cher et que votre femme n'a pas tort d'y répugner. Si vous pouviez me donner tout ce que vous me devez dans le mois de janvier vous retiendrez cette somme pour l'emploi que je la destine. Mais si vous ne m'en donnez qu'une part ce sera pour le solde. Car je ne sais comment je ferai. Je n'ai pu rendre à M. Saint-Aubin les huit louis qu'il m'a prêtés. Et il me faudra trois cents livres pour mon loyer.

J'ai pensé mon fils que pour vous procurer la gravure du pont, l'on pourrait mettre dans la feuille d'affiche qu'on désirerait en trouver une qui serait bien payée. Peut-être aussi que quelques-uns de vos amis ou connaissances pourraient vous en remettre une pour nous obliger. M. Loyet, Durand , Hubert , ou tels autres artistes ont acquérir dans le temps. M. Deboissieu en aurait-il ? Si vos sont infructueuses alors je verrai avec M. Jai à qui j'en ai parlé le prix que m'en demanderait un de ses jeunes gens. Je crains que cela ne soit très cher. En examinant le dessin de l'Allemand, il y a des détails immenses, je pus le refuser pour les premiers jours de l'ouverture du muséum qui doit être le 10 nivôse mais avec les frais de glace, encadrement et mes autres projets il faudrait encore me bien arriérer pour longtemps cependant c'est mon désir le plus ardent craignant toujours que la mort ne me supprime. Je dois tenir peu à la vie je puis bien me tromper. Votre présence me la rend chère. Je souhaite que vous m'annonciez bientôt votre arrivée. J'embrasse tous mes enfants et vous assure de ma tendresse.


Licence

Creative Commons License