Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 22 décembre 1800

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey rue Saint-Dominique n°66, à Lyon.
Grenoble, lundi 22 xbre [décembre] 1800 [1er nivôse an IX]

Me voilà encore, mon cher fils , à vous écrire. Hier le hasard m'a fait dîner avec M. Aribert chez votre sœur , il m'a dit qu'il partait pour Paris aujourd'hui, qu'il séjournerait deux jours à Lyon, je l'ai prié et il m'a promis de vous voir, ce sera le mardi ou mercredi. Je désirerais bien qu'il vous trouvât chez vous. Si vous n'y êtes pas recommandez à Jeanneton qui est une fille intelligente de ne se pas quitter et lorsqu'elle le verra de s'assurer de son logement que je n'ai pas eu la présence d'esprit de lui demander. Vous n'avez pas oublié qu'il est le meilleur ami de M. Bérenger , que ce sont d'autres Oreste et Pilate et qu'il est je crois intéressant que vous vous mettiez à même de vous lier d'amitié avec l'un et l'autre. Je n'ai pas paru que vous ayez le moindre intérêt de les connaître, ni parlé du projet de votre voyage à Paris. Celui que vous avez mon cher fils pour Grenoble me transporte de joie. J'en garde le ainsi que vous le voulez mais ne trompez pas mes espérances j'ai un vrai besoin de vous voir. Nous ne pouvons vivre heureux sans nous bien aimer. Ne me privez donc pas des consolations que je peux avoir et qu'à l'avenir aucune discussion ne puisse altérer notre tendresse.

Je suis bien fâchée de ce que M. Ribaut a détruit sa planche, comment a-t-il pu le faire, le pont subsistant je verrai avec M. Jai s'il en coûterait beaucoup de faire un dessin d'après celui de l'Allemand quant à refaire graver le pont je crois que cela serait bien cher. Il faudrait faire le pont en entier, car tel qu'il est dans l'ancienne gravure, il n'est pas reconnu par la multitude, nous verrons dans la suite ce que nous pourrons faire. Je tiens toujours au désir d'avoir la gravure d'après mon buste. Je le satisferai aussitôt que mes moyens me le permettront. Je pourrais même les devancer parce que l'exécution en sera toujours un peu longue.

Comment se peut-il que M. Mayeuvre , d’après votre pétition, d’après ma lettre, ait refusé de présenter et solliciter en notre faveur ce que nous désirions de l’Assemblée municipale, il n’est que trop vrai que les ennemis sont actifs à nuire et les amis lents à servir. Ce fut avec répugnance que je finis ma lettre en le laissant maître de décider. Je me conformai à ce que vous désiriez mais je prédis qu’il n’aurait pas le courage de nous servir. Si l’Assemblée n’est pas dissoute faite encore quelques tentatives. Si elles sont toujours inutiles, il faut espérer qu’il vous servira pour l’affaire du pont il vous convient de préférer l’objet de votre plus grand intérêt.

Je suis mon fils vraiment inquiète de votre cautionnement pour certaine somme de sept mille livres, il n'est que trop vrai que le cautionné se ruine s'il ne l'est pas déjà. Ne le perdez pas de vue. Sachez à quelles époques on doit lui payer , si l'acquéreur est à Lyon voyez le vous-même pour vous en assurer ; il doit de fortes sommes par hypothèques, beaucoup d'autres ce jour. Vous seriez colloqué le dernier ne serait-il pas bien malheureux que vous fussiez poursuivi pour payer les dix 7 mille livres. Le terme écoulé où ils doivent être rendus, notre ami viendra à Grenoble ou ira à Paris trouver enfin sa mère, et sa femme malade. Voyez-le donc sans perdre de temps, dites-lui que vous-même aurez peut-être une absence à faire. Et qu'il serait cruel de mettre votre femme dans l'embarras. Vous êtes trop prudent j'espère pour me compromettre. Ne vous inquiétez pas, mais agissez.

J'ai écrit à votre femme une lettre pathétique, de confiance, j'espère qu'elle ne lui aura pas déplu. Si elle rend justice à mes intentions, j'ai cru qu'il aurait été désobligeant de ma part de toujours éluder ce qu'elle voulait savoir. Et qu'elle sera assez juste pour ne plus demander à celle qui manque encore de beaucoup de choses, dans une position, dans une ville et dans un âge qui ne me présentent aucune ressource, s'il me fallait vivre avec moins que ce que j'ai il m'aurait fallu établir à la campagne. Je crains que le courrier ne parte. Ne perdez pas de vue mon cher fils l'espérance que vous me donnez de vous embrasser. La réalité comblera de la plus douce joie votre tendre mère Levet Morand .

Séance du 6 nivôse an IX du Conseil municipal de Lyon « Un membre de la commission des travaux publics a fait lecture d'une pétition adressée au Conseil municipal par les concessionnaires du péage du pont de bois sur le Rhône, tendante à obtenir du Conseil qu'il sollicite une exemption de contribution pour le pont de bois sur le Rhône, en l'assimilant aux maisons de la ville qui ont été démolies.

Lecture faite de la susdite pétition, le même membre a dit :

« Citoyens,

Les concessionnaires du péage du pont de bois sur le Rhône vous ont adressé un mémoire que vous avez renvoyé à votre commission des travaux public ; le citoyen Morand , membre de cette commission et, en même temps, l'un des concessionnaires, a cru devoir se retirer comme partie intéressée ; vous avez nommé, pour le remplacer, le citoyen Magneux. A ce mémoire sont jointes différentes pièces, entre autres la pétition dont on vous a fait lecture.

Votre commission, après avoir lu toutes ces pièces, a pensé que la suppression d'impôt demandée était juste et fondée :

1° Parce que l'arrêt du Conseil du 4 janvier 1771 (v.s.), qui autorise la construction de ce pont et en cède la jouissance aux concessionnaires pendant la durée de 99 ans, paraît ne l'avoir assujetti à aucune espèce d'impôt ; qu'à cet arrêt est joint un tarif qui porte le péage à un tiers de moins que celui qui était perçu par les bacs ou trailles que ce pont a remplacés ; que les constructeurs ont dû compter sur le produit résultant de l'exécution de ce tarif, et que les assujettir à une contribution qu'ils n'ont pas prévue, c'est retenir une partie de ce qu'on leur avait assuré, et, dès lors, manquer au traité sur la foi duquel ils ont fait les frais de cette construction ; que, d'ailleurs, il ne serait pas juste d'assimiler ce pont, qui n'est pour eux qu'une possession usufruitière, à toute autre construction, comme moulin et autres usines qui sont de vraies propriétés.

2° Parce que, sans parler des dommages que cette construction a soufferts pendant le siège de cette malheureuse ville, elle est sujette à des entretiens journaliers, presque incalculables, indépendamment des événements occasionnés soit par les glaces, soit par les crues d'eau qui tendent toujours à accélérer son dépérissement, et qui, au bout d'un laps de temps très court, occasionnent successivement une reconstruction complète.

Si les concessionnaires n'eussent eu à supporter que les réparations des dommages qu'avait occasionnés le siège, ils ne se trouveraient pas dans la malheureuse situation où ils sont aujourd'hui ; mais les dégradations volontaires qui suivirent ce terrible événement, comme l'enlèvement presque général des fers et boulons qui liaient l'assemblage de ce pont, celui des barrières en fer, la démolition des banquettes et celle des pavillons et guérites en pierre, les ont forcés à une reconstruction presque générale.

On observera peut-être que ce pont n'a presque d'autre utilité que celle de conduire à des promenades, et que les concessionnaires sont seuls essentiellement intéressés à sa conservation ; nous nous permettrons de répondre que, fût-il exactement vrai que l'utilité de ce pont se réduit à ce que nous venons de dire, ce motif seul, dans une ville où l'on paraît avoir si fort négligé tout ce qui tient à l'agrément, devrait suffire pour exciter notre reconnaissance ; que, d'un autre côté, on ne peut se dissimuler que, si le pont eût péri faute de moyens suffisants pour le réparer, sa suppression eût fait perdre aux terrains de l'hospice des malades, situés dans les Brotteaux, toute la valeur qu'il leur a donnée et que son existence leur conserve.

Il est démontré que, depuis la rentrée des concessionnaires, la recette brute du double péage ne s'est pas élevée, année commune, au-delà de 40 000 francs, et comment aurait-elle pu excéder cette somme ? les Brotteaux, jadis si agréables au public, n'étaient plus pour lui qu'un champ d'horreur et de tristesse ; il résulte donc de la modicité de la recette, de l'immensité des réparations déjà faites et de celles encore à faire, que la loi du 30 fructidor an IV, qui accordait un doublement de péage tant pour, dit-elle, indemniser les concessionnaires de leur non jouissance, que des sommes qu'ils emploieront au rétablissement de ce pont, n'a pas eu son effet ; que les concessionnaires, loin d'être dédommagés de leur non jouissance, continuent, comme ils le disent, de ne pas jouir, et ne sauraient déterminer l'instant où la cessation de dépenses pourra leur permettre un produit réel ; que, par conséquent, le Gouvernement, dans cette circonstance, ne pourrait leur refuser une prorogation du doublement de péage.

A cet égard, votre commission croit, comme les pétitionnaires, que, quelque volontaire que soit un péage sur un pont qui ne conduit, en général, qu'à des promenades, les habitants de cette ville et ceux de la rive gauche du Rhône verraient avec peine la continuation de ce double droit.

En conséquence, votre commission pense que les dédommagements les plus réels que puissent obtenir les concessionnaires, et, en même temps, le moins onéreux à nos concitoyens, serait la suppression totale de l'impôt ; mais dans le cas où le Conseil municipal craindrait qu'une exemption totale de contribution ne fût pas conforme à l'esprit des lois qui nous régissent, votre commission pense qu'il serait juste d'émettre le vœu de l'exemption de l'impôt au moins pendant vingt ans, en assimilant les constructeurs de ce pont aux propriétaires des maisons de la place Bonaparte, et d'engager le Préfet à solliciter pour eux auprès du Gouvernement cet acte de justice.

Le conseil municipal, après avoir délibéré sur le rapport de sa commission des travaux publics, a arrêté ce qui suit :

Considérant que le pont de bois sur le Rhône est intéressant pour la commune de Lyon, en ce qu'il sert de communication de la rive droite du Rhône à la rive gauche ;

Considérant que, sur cette dernière rive, sont situées presque toutes les propriétés rurales de l'hospice des malades, qui n'ont acquis et ne peuvent acquérir une plus grande valeur que par cette communication ;

Considérant que, sur cette même rive, se sont déjà établies des manufactures de papiers peints et de toiles peintes, occupant des terrains vagues, et ci-devant sans valeur, lesquelles manufactures ne pourraient subsister sans cette communication, et qu'elle est couverte de ruines, tristes restes d'un grand nombre de maisons que le siège à détruites et qui peuvent être reconstruites ;

Considérant que les intérêts de l'hospice des malades sont essentiellement liés à ceux de la commune, puisqu'elle doit pourvoir à ses besoins par voie de contribution, et que cette contribution sera moindre en raison des améliorations qu'éprouvent les revenus de l'hospice ;

Considérant que le pont de bois sur le Rhône, par les dégradations qu'il a éprouvées pendant et après le siège, doit être assimilé aux maisons de Lyon qui ont été démolies, qui viennent de fixer les regards du Gouvernement, et pour lesquelles il vient de proposer une exemption de contribution pendant un certain nombre d'années ;

Le Conseil municipal émet le vœu que le pont de bois sur le Rhône soit exempt de contribution pendant vingt ans, et invite le Préfet à appuyer ce vœu auprès du Gouvernement. » pp. 52-53.


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