Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 3 décembre 1800

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey rue Saint-Dominique n°66, à Lyon.
Grenoble, 12 frimaire an 9 [3 décembre 1800 ]

Il s'est répandu (hier mon cher fils ) une nouvelle à Grenoble qui me donne beaucoup d'inquiétude, une lettre reçue de Lyon dit qu'il y règne une maladie épidémique qui commence par de violents maux de gorge, qu'il est mort plusieurs personnes de marque, que le préfet a eu la vigilance de faire assembler les médecins qui ont dit qu'ils ne pouvaient encore prononcer si c'était une épidémie. Instruisez-moi je vous prie par le courrier qui suivra la réception de ma lettre si cette frayeur est fondée, dans ce cas je pense que vous et votre famille retourneriez à Machy. Et viendriez ensuite nous trouver s'il était vrai qu'il existât une maladie épidémique à Lyon. Entre moi et votre sœur nous trouverions le moyen de vous tous loger tant bien que mal il faudrait même alors venir le plus tôt possible. Je pense que peut-être on s'alarme trop aisément et que les ravages affreux qu'ont causés la peste à Cadix et dans l'Andalousie portent une terreur qui puisse faire croire qu'une maladie régnante (comme il en arrive quelque fois) soit regardée comme épidémique. Mais il ne faut pas s'abuser, tirer la vérité des bons esculapes qui vous environnent.

Je suis contente que vous soyez arrivé à temps pour voir M. Derolin dans le court séjour qu'il a fait à Lyon, je le suis aussi de ce qu'après votre conversation, il soit ainsi que nous persuadé qu'il vaut mieux demander l'exemption de l'impôt que le doublement du péage. Ne tenter ce dernier moyen que pour obtenir le premier. Il est important de ramener le public aux Brotteaux : vous y avez un double intérêt qu'il ne faut pas perdre de vue. Mais vous ne me dites point si la Compagnie est d'avis de vous y envoyer.

Je ne doute pas que M. Derolin n'ait envie de vous servir. Mais il est paresseux et insouciant, je crois aussi qu'il y aura des changements dans les tribunaux, les moments présents peuvent les éloigner, n'étant occupés pour obtenir la paix que de préparatif de guerre ; mais votre présence à Paris pourrait vous être utile pour la première place vacante. Votre femme m'a parlé de celle de M. Berrau qui devait rester dans la capitale. M. de Rolin vous sera utile lorsque vous l'activerez mais je crains qu'il ne vous oublie parfaitement si vous ne l'aiguillonnez pas, depuis certain avis il a bien perdu de la considération dans cette ville. En faisant les affaires de la Compagnie. Vous pourriez suivre les vôtres dans le silence.

J'ai bien pris part aux embarras qu'a occasionnés à votre femme la visite inopinée du préfet et de sa suite, encore un jour de lessive, un bon dîner en partie inutile qu'il ne faudra pas moins payer bien cher tout cela est très contrariant. Mais la petite fiche de consolation du gourmand a bien son mérite. L'échantillon du dîner aura prouvé au préfet que le tout aurait été bon. Et puisqu'il est parti content votre objet est rempli. Ne négligez pas de vous le rendre utile. Je ne suis fâchée que de ce que la jeune femme n'a pas eu le temps de jouer à la toilette. Cela l'aurait mieux amusée que de courir si vite les grands chemins. Votre beau-frère prétend que vous auriez bien pu accepter une place dans le conseil de préfecture. M. Dubouchage qui est ici un homme de considération ne l'a pas refusée mais il est classé par son état et sa naissance. Et il n'a pas osé refuser vu le désir qu'avait le public qu'il acceptât. D'ailleurs ces places sont mobiles et dépendantes pour l'agrément du chef. Embrassez bien tendrement pour moi votre femme, je répondrai dans quelques jours à la lettre obligeante qu'elle a répondue à celles que je lui avais écrites. Je suis très sensible à l'attachement qu'elle m'y témoigne et mon cher James ne m'a-t-il pas écrit une charmante lettre où il ne me paraît occupé que de ses devoirs. Ha mon fils  ! Vous êtes un heureux père. Un fils doux et appliqué, quel plus heureux souhait peut s'accomplir ! Appréciez bien toutes vos jouissances. Vous supporterez alors mon fils bien aisément les inquiétudes inévitables d'un peu de gêne dans la fortune, et la peine d'être contrarié dans ce qu'on désire. C'est ainsi que j'ai passé ma vie. Je ne m'en plaindrais pas si je n'eusse été frappée ensuite du plus grand des chagrins.

Je suis dans ce moment fort occupée et affligée de la  [maladie] de Mme Devaran qui loge dans la maison que j'habite, c'est [celle] que j'aimais le mieux dans mes nouvelles connaissances, l'on ne peut réunir plus de vertu et d'amabilité, je suis menacée de la perdre, elle est dans le plus grand danger et elle a soixante et quinze ans. Je pense que vous êtes à la ville pour la santé de ma chère Albine , embrassez-la bien fort pour moi sans oublier d'en faire autant à la jolie petite Léo . Ma fille n'arrive qu'à la fin de la semaine, ma sœur vous fait mille amitiés. Recevez celle de votre bonne mère . Comment avez-vous oublié la promesse de m'envoyer ce que vous me devez dans quinze jours. J'ai été obligée d'emprunter huit louis de M. de Saint-Aubin . Mes compliments à ma chère fille Demontherot et à toute sa famille.


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