Lettre d’Antoinette à son fils Antoine, 28 janvier 1800

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey Juge du tribunal civil de Lyon département du Rhône rue Saint-Dominique n°66.
Grenoble, le 6 pluviôse an 8

L'absence, mon cher fils , de M. Silvy m'a paru bien longue par l'impatience que j'avais qu'il m'apportât des détails intéressants sur tous les objets qui me sont chers, ils ont tous été pour moi bien satisfaisants. Il m'a parlé avec reconnaissance de votre bonne réception, se félicitant d'avoir fait votre connaissance ne tarissant pas d'éloges sur le père la mère il a été vraiment étonné des talents de ma chère Albine , il m'a vanté sa bonne tournure, celle de la jolie petite Eléonore et ne m'a laissé que le regret de n'avoir pas vu James qui aurait sûrement mérité aussi ses applaudissements.

J'ai été surprise de la terreur panique de mes concitoyens sur leur crainte de dîner avec M. Silvy . Comment peut-on croire qu'un homme de son état accoutumé à prendre des précautions contre les dangers qu'il présente, puisse emporter avec lui des miasmes assez dangereux pour infecter ceux qui l'approchent [en note de bas de page : « à vingt lieux de distance »], l'exemple des esculapes avec lesquelles il a vécu pendant son séjour à Lyon avait de quoi les rassurer ; je suis étonnée que ma chère fille qui est si brave contre les dangers imaginaires, ait partagé cette pusillanimité et qu'elle ne m'ait pas donné signe de vie me croyant dans un danger si imminent. Elle m'a privée du plaisir d'apprendre des nouvelles de sa jolie famille ce dont j'étais très empressée. Votre beau-frère a fait votre commission et toutes les démarches nécessaires. M. Nugues n'a pu être le défenseur de la commune n'étant pas encore bien rétabli de la maladie contagieuse qui les mit dans le plus grand danger. C'est M. Crozet qui le remplace, la cause a été appelée et renvoyée. L'on dit que toutes recommandations sont inutiles, les juges de ce département peuvent se comparer à ceux de celui du Rhône. Comme eux ils sont intègres et éclairés. D'ailleurs cette cause est si juste qu'y faire droit est, il semble, concourir avec les mesures du gouvernement présent qui n'emploie que celle de la douceur. Cependant instruisez-moi lorsqu'elle se plaidera pour qu'on puisse recommander au défenseur de ne point négliger les moyens de défense.

J'attends avec impatience la petite boîte qui doit m'apporter des ouvrages de ma chère Albine . On ne pouvait me destiner un bouquet plus agréable. Mille compliments à M. et Mme Carton et remerciements de l'amitié qu'ils m'ont conservée. Assurez les que je les paie du plus sincère retour. Je ne sais si vous avez adressé de ma part à M. la prière que je lui avais faite dans le temps de joindre votre portrait à celui de mes chers petits enfants, ce serait mettre le comble à la jouissance qu'il m'a déjà chaque jour procuré. J'espère qu'il fera droit à ma requête. Je prie Mad. de plaider pour moi cette cause intéressante.

Votre sœur a bien de la peine à guérir tous ses malades, sa femme de chambre l'a été assez sérieusement, elle-même et son mari ont été aussi un peu fatigués par leurs peines et leurs ennuis. Je crois qu'ils touchent enfin au moment d'en être délivrés. L'on a mis à Auguste un vésicatoire au bras, qui lui a produit le plus grand effet. M. Housset médecin a jugé que l'état d'angoisse et de douleur qu'éprouvait ce pauvre enfant ne provenait que d'une humeur rhumatismale qui se jetait dans les différentes parties de son corps. Elles sont maintenant dissipées et l'on espère sa parfaite guérison. L'enfant paraît partager cette espérance. Il était très inquiet et fatigué de son état. Il a une tournure raisonnable qui intéresse et donne des craintes sur sa santé.

M. Silvy m'a trouvé à son arrivée très fatiguée, d'un violent rhume qu'on appelle cathareux. Il avait été précédé de douleurs que j'avais avant d'aller aux eaux. Je serais très fâchée d'être obligée d'y retourner par le défaut de finance et la peine que cela donne. Je suis maintenant soulagée et presque guérie.

J'ai reçu une lettre de la veuve Quintalet chapelière pour être payée d'un petit compte que lui restait devoir mon mari, de la valeur de 16# 9s., vous devez le trouver dans les papiers que je vous ai laissés. C'est le seul qui est resté à acquitter, elle refuse constamment les assignats que je lui présentai dont tous les autres s'étaient contentés. Je lui écrirai de vous aller trouver pour en être payée ainsi que vous le trouverez convenable.

Je vous prie mon fils de ne pas manquer aussitôt ma lettre reçue de porter à M. Desgranges le solde que vous restez me devoir. Vous me mettriez dans le plus grand embarras si vous négligiez de le faire. Il m'a fallu payer six mois de loyer (l'usage de ce pays est d'acquitter le premier en janvier et les autres en germinal) mes des comptes d'ouvriers, je dois encore beaucoup. Et n'ai que trois louis pour ma dépense journalière. J'ai refusé la veille du jour où je vous écrivis la dernière lettre de l'argent que l'on me proposait pour être payée par vous à Lyon, ne doutant point que vous ne fussiez exact à vous acquitter de ce dont je vous avais prié. Ma sœur vous remercie des bonnes papillotes que vous lui avez envoyées elle se réserve le plaisir de le faire elle-même, recevez pour vous de sa part et pour tout ce qui vous appartient les plus tendres compliments, même commission de la part de votre sœur beau-frère, mille embrassades pour moi et assurance du plus tendre attachement.


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