Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 1 avril 1799

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

Facsimilés

Si le zoom ne fonctionne pas sur votre navigateur : cliquer sur l'image
Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_31_1_1799_04_01_1.jpg
Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_31_1_1799_04_01_2.jpg

Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey juge du tribunal de Lyon département du Rhône à Lyon.
12 germinal an 7

J'avais bien raison, mon cher fils , d'être inquiète sur votre santé. Malheureuse comme je le suis n'augmentez pas de grâce la somme de mes peines, car il n'y a qu'une mesure de force. Je suis étonnée qu'après toutes les précautions que vous avez prises pour éviter le mal d'yeux il ait été si long mais pourquoi ne me pas faire donner de vos nouvelles par ma chère Albine . Cette aimable créature vient de m'écrire une lettre si bien pensée, si bien peinte et si bien orthographiée, qu'en la lisant j'oubliais son âge, et pensais que dans celui où l'on a plus à acquérir l'on se ferait honneur d'écrire ainsi. Je suis touchée de l'attachement qu'elle me témoigne et pénétrée de ce qu'elle partage le chagrin que j'ai de ne la plus voir, elle sera toujours ma favorite. Je lui répondrai lorsque je le pourrai étant un peu occupée dans ce moment cy. Tous mes compliments à la petite maman du succès qu'elle a dans les soins qu'elle se donne pour son éducation.

Je suis fâchée et inquiète de ce que l'on attaque toujours de nouveau des droits si bien établis, et si bien confirmés, vous avez raison de prendre votre parti et de faire de nécessité vertu. D'après ce que vous m'écrivez sur la réduction de deux liards dans l'ancienne traille, je crois même que vous regagnerez du côté de la ville ce que vous perdrez du côté du Brotteau. Le peuple content de cette diminution qu'il a tant désirée, s'y portera avec affluence, comme par le passé. Quant à l'article qui vous menace d'être privé de la traille, il serait effrayant si depuis longtemps la justice n'était pas à l'ordre du jour et si les droits de la concession faite à votre père étaient moins bien établis. La lettre de M. de Virieux doit vous rassurer à cet égard. Il a une parfaite connaissance de nos droits, toute l'habileté et la prudence nécessaires pour les bien faire valoir. Surtout avec les instructions que vous lui donnez sans doute dans votre correspondance. Mais si vous croyez cependant que votre présence fut nécessaire, je pense comme votre femme qu'il ne faudrait pas hésiter de partir. J'ai lu à M. Hélie ce que vous m'avez écrit sur l'affaire qui vous est commune. Il paraît assez rassuré et m'a promis d'aller à Lyon dans trois semaines, il y a déjà huit jours d'écoulés. Il se propose d'y passer deux mois. Il dit que le mauvais temps le retient. Je crois que c'est une affaire plus intéressante dont il ne m'a point fait part.

Je vous fais mon compliment de la petite vente que vous avez faite aux Brotteaux. Quoique le terrain ne soit pas porté à sa valeur, mais vu la rareté du numéraire, il n'est pas possible que ce soit le rentier qui puisse se décider à acquérir. Je pense que ce que vous avez vendu est du côté de l'allée des soupirs et que ce que vous vendrez dans la suite du côté du grand cours vous dédommagera.

Je crois que vous faites bien de vous décider à étendre votre terrain et attaquer celui de la montagne. Je vous invite à le mettre à une hauteur qui vous mette à l'abri des inondations du Rhône. Vous n'avez plus que cette partie qui vous fasse craindre les incursions. J'ai été dans la plus grande inquiétude cet hiver, qu'il ne vous fit quelques ravages dans la partie basse près la montagne. Votre bonheur ordinaire vous en a sauvé dans un moment où toutes les rivières de la France et de la majeure partie de l'Europe ont tout submergé. Je crains bien mon fils que la crainte des voleurs ne vous expose à l'être par d'autres bien aussi dangereux. Je me souviens que vous m'avez entretenue du désir que vous aviez de clore le terrain qui l'était en partie. Si vous n'en faites pas davantage et que ce ne soit que pour employer les matériaux que vous avez à main d'œuvre je ne puis que vous approuver. Je pense que vous êtes trop sage pour bâtir en empruntant. Votre femme qui l'est encore plus que vous sans doute vous priera de ne le pas faire. Si je pensais ainsi vis-à-vis de votre père malgré toutes les ressources que lui donnaient ses talents, et ses connaissances, jugez de ce que je dois penser à votre égard. Je vous dirai comme à lui qu'il faut être marchand de terrain et non pas de maison. Vous savez qu'il a perdu dans la dernière qu'il a bâtie et vendue. Vous n'avez pas besoin comme lui d'un jardin pour aller vous promener vous qui avez un effet superbe à la campagne.

J'ai appris avec chagrin qu'Albine et Léo ont aussi . Je ne doute point que ce ne soit par communication. Et moi avons toujours été persuadés que c'était le fils second qui l'avait donné à votre James . Il est certain que ce n'est pas un mal de famille, car ni vous ni moi ni votre père n'en avons jamais eu. Peut être que cette maladie les préservera de toute autre. C'est au moins ce que je souhaite.

Donnez-moi, je vous prie mon fils , des nouvelles des élections, parlez-moi quelque fois de mes amis. Vous ne pouvez imaginer que je sois devenue indifférente au sort de ma malheureuse patrie et bien moins encore à celui des gens que j'aime. Je vous ai quelque fois adressé pour eux des marques de souvenirs que vous ne m'avez point rendues. Vous ne pourrez le faire que par une correspondance suivie. Tante , frère , sœur neveu nièces vous embrassent. Même commission pour eux et pour moi auprès de votre chère femme et chers petits enfants. Croyez toujours à la tendresse de votre mère Levet Morand .


Licence

Creative Commons License