Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 17 avril 1799

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey juge du tribunal de Lyon département du Rhône à Lyon.
Grenoble 28 germinal an 7

Plaignez moi, mon cher fils , mais ne soyez point inquiet, je ne puis prudemment échapper à ce que j'ai voulu éviter. Je vous en ai dit un mot dans la lettre qui a précédé les deux dernières, vous avez eu la distraction ou de l'avoir mal lue, ou de n'y pas répondre. Vous vous souviendrez sans doute que lorsque M. Guérin me vint voir après le dépôt que j'ai eu il y a deux ans et demi, il était d'avis de l'ouvrir avec un instrument. Je m'y refusais vu le grand état de faiblesse où je me trouvais. Il adopta le parti des injections sans être persuadé du succès. J'ai toujours gardé quelque inquiétude qui se sont augmentées cet hiver, ayant une petite douleur subsistante (mais très supportable) avec un petit bouton qui revenait sans cesse malgré l'application de la pierre infernale. Dans cet état de choses à la prière de ma sœur, de ma fille, j'ai consulté M. Silvy , jeune chirurgien d'une réputation distinguée, par son habileté et ses connaissances, qui y joint un tour de douceur et d'intérêt pour ses malades, après m'avoir persécutée ainsi que ceux qui s'intéressent à moi pour connaître l'état des lieux, pendant très longtemps, et m'y être enfin déterminée. Il a décidé ainsi que M. Guérin qu'il n'y avait que l'instrument qui put me guérir, ne présumant point de ses lumières ou voulant encore mieux gagner ma confiance ; il m'a dit qu'il attendait M. Para son ami qui venait pour le rétablissement de sa santé passer quelque temps avec lui, qui exerçait la médecine à Lyon avec la plus grande distinction, qu'il avait concouru avec son ami M. Petit pour la place de chirurgien major à l'hôpital, et qui était son médecin lorsqu'il était malade : j'acceptai sa proposition ayant déjà ouï parler de sa célébrité étant à Lyon : quel a été mon étonnement lorsqu'il me l'a amené, de trouver M. Para porteur d'une lettre de M. Desgrange qui par une suite de son amitié pour moi toujours active, me l'adresse comme un homme qui peut m'être utile et qui est son médecin et son ami. D'après ce dernier titre et la manière dont je l'ai accueilli, il m'a pratiqué tous ses soins pour s'assurer du parti que je devais prendre, il a vaincu ma résistance, fortifié mon courage, en m'assurant que ce n'était qu'une fistule simple, dont l'opération était aussi sûre que prompte, et qu'en la déportant plus longtemps c'était m'exposer à en avoir une compliquée. Il m'a persuadée, il m'a promis d'être présent à l'opération, en employant les idées les plus consolantes. Depuis longtemps dieu me traite dans sa justice, mais je regarde comme un commencement de miséricorde ce secours inattendu. Je n'ai pas voulu mon cher fils , qu'un autre que votre malheureuse mère vous instruisit de ce triste détail. Mais je veux qu'il ne vous parvienne qu'après le succès de l'opération, et que cette lettre ne vous soit remise qu'avec celle de ma sœur qui sera chargée de vous l'apprendre.

S'il y avait eu le moindre danger, je vous aurais appelé près de moi. Mais quoi qu'il m'eut été très consolant de vous voir, je préfère que vous ne veniez que dans trois semaines, ou un mois, temps de mon parfait rétablissement : pour mieux jouir du plaisir de vous voir et que vous me procuriez surtout celui de voir mon cher petit James  : quel chagrin n'aurais je pas si vous l'envoyez ensuite dans le collège sans avoir cette satisfaction. A cette époque, l'ambulance de vos fonctions sera terminée. Et quel que soit votre président au tribunal civil, j'espère qu'il s'intéressera assez à votre mutuelle satisfaction pour vous permettre une absence au moins de trois semaines. Ma sœur et la vôtre n'apprendront le jour de mon opération que lorsqu'elle sera faite. Ne voulant point affliger inutilement ceux qui m'aiment, il n'y a que moi qui ne peux me dispenser d'être dans le secret, et Lucille sur l'attachement duquel je compte beaucoup.

Quoique j'eusse été bien contente de recevoir bientôt les vingt cinq louis, je préfère attendre le tout au 8 ou dix mai pour ne pas donner double embarras à l'honnête M. Desgranges . J'ai été assez heureuse pour trouver à en emprunter douze. M. Dupuis m'a promis de m'attendre quoique je lui doive six mois de loyer depuis le 1er germinal ; puis aussi différer d'acquitter d'autres petites dettes jusqu'à cette époque.

Je vous remercie du soin de me faire chercher un appartement . Craindrais l'inondation sur le quai de la Saône et la vue de la destruction sur la place Bellecour. J'en ai arrêté un dans la rue dont je vous donnerai le détail dans une autre lettre. Mais il est éclairé que celui que j'occupe est obscur, aussi élevé que celui cy est . Ne pensons plus mon cher fils qu'à nous procurer le plaisir de nous voir au moins une fois l'an. Ce sera notre sacrement dont il faudra approcher plus exactement que bien des chrétiens qui manquent d'accomplir le précepte de celui qui leur est imposé.

Instruisez moi je vous prie des nouvelles élections. J'embrasse bien tendrement tous mes enfants, et vous assure de toute ma tendresse. Ma sœur et la tienne seront exactes à te donner de mes nouvelles, il me sera difficile de le faire moi-même, l'opération étant sur la joue gauche ; il me faudra rester appuyée sur le côté droit. Faites donnez de mes nouvelles à M. Guérin à qui je fais mille compliments.


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