Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 30 novembre 1798

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_31_1_1798_11_30_1.jpg
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Transcription

Au citoyen Morand juge du tribunal, rue Saint-Dominique, n° 66, à Lyon.
Grenoble, ce 10 frimaire an 7 [1798]

J'ai été, mon cher fils , très affectée de tous les maux que vous avez soufferts à la suite des accidents qui vous sont arrivés. Vous avez bien fait de vous purger pour empêcher que l'humeur mise en mouvement ne vous jouât encore quelque mauvais tour. La nature vous a donné une bonne tête, de bonnes jambes. Conservez mon ouvrage j'en suis jalouse et désire que vous jouissiez de toutes vos facultés.

L'argent est toujours dans ce pays-ci à un taux plus fort qu'à Lyon. J'ai demandé à votre beau-frère s'il en avait à placer. Il m'a dit qu'il n'avait pas pour le présent de fonds disponibles. Ceux qu'il a de placés sont à dix pour cent, il se fera un plaisir de vous en donner la préférence, et tâchera prochainement de vous faire une somme de neuf à dix mille livres mais il ne peut l'engager pour plus de trois mois pour se conserver l'avantage d'une bonne acquisition s'il la trouve. Comme il a besoin dit-il (d'après toutes les pertes qu'il a faites) d'augmenter ses rentes. Je crois que vous pourriez avoir cet argent pour quelque temps, persuadée qu'il ne se pressera pas d'acquérir, j'y tiendrai la main et vous donnerai une réponse plus positive quand je pourrai l'avoir. Il vous en faudra prendre sur place en attendant. Vous devriez voir M. Desgranges , si vous vouliez votre argent pour une longue échéance. Je crois que pour avoir autant de sûretés que vous en offrez, bien des gens se contenteraient du 10 p. 100. il se fera un plaisir de vous être utile dans son état.

Je suis bien étonnée que vous ayez échoué dans la réclamation que vous avez faite de vos droits pour empêcher l'établissement d'une traille à deux liards, comment se peut il que les législateurs, qui ont la justice pour guide, détruisent leur propre ouvrage envers des propriétaires qui ont fait des frais énormes pour le rétablissement du pont. Je dirai que vous avez été mal défendu si je ne connaissais pas l'habileté de M. de Virieux , il pourra peut être l'employer avec succès pour en rappeler. Dites moi si c'est un particulier qui prétend à cette traille. Cela ne me paraît pas possible puisque la compagnie a le droit d'en établir depuis la digue jusqu'au pont privativement à tous autres ; dans ce dernier cas, quoiqu'il fût fâcheux de la faire à deux liards et qu'elle occasionnerait bien des frais, il serait possible qu'on les retrouvât, par l'empressement qu'aurait le peuple du côté de la ville à retourner aux Brotteaux sur ce taux, et qui était retenu par le doublement du péage ; celui du brotteau pourrait bien aussi faire même calcul. Mais les habitants trouveront qu'il leur en coûterait plus, par la perte du temps et de leurs chaussures. Expliquez moi cet article qui ne l'est pas dans vos deux lettres et tirez moi d'inquiétude. M. rieussec a qui j'en ai parlé m'a promis de vous servir de tout son pouvoir. S'il y avait quelque moyen.

J'ai été bien fâchée de son départ. Ses visites me faisaient grand plaisir. Car indépendamment de l'intérêt que procure sa conversation, il me semblait être encore à Lyon. Son fils est aussi très aimable, ils ont l'un pour l'autre un ton de confiance que j'admirais, ce bon père qui ne peut qu'applaudir à son ouvrage paraît très affecté de voir approcher le temps de se séparer de ce troisième fils. Je suis bien aise que des circonstances d'abord contrariantes l'éloignent encore, les élèves de Grenoble ont eu le plus grand succès dans leur examen, ils étaient ferrés à glace mais indépendamment de la bonté des professeurs ils étudient depuis plusieurs années les mathématiques avec un travail le plus assidu.

Je vous félicite mon fils de la bonne découverte que vous avez faite pour notre cher James . Il profitera de son temps et vous jouirez encore ainsi que sa maman de la douceur d'avoir auprès de vous cet aimable enfant. Il est si recommandable par lui-même que je n'ai pas besoin de réclamer pour lui l'amitié de mes anciennes voisines, faites leur de ma part les plus tendres compliments, priez les d'en faire pour moi à tout ce qui leur appartient. Je ne trahirai point leur secret, quoique ce nouveau trait de courage ne peut que leur faire honneur. Elles sont aimées, elles sont aimantes, je m'intéresse bien vivement à leur sort. Vous ferez très bien d'aller vous-même à Tournon et de ne point vous en rapporter sur parole, ce collège a l'avantage d'avoir formé des élèves fort instruits, tous bon sujets, au moins à ma connaissance. Je crois que votre femme plaindra bien autant que moi la pauvre Mde rieussec qui se sépare de son troisième fils qu'elle n'avait jamais quitté, pour embrasser des états périlleux.

Je pense que l'éducation de vos enfants vous aura tous réunis à la ville, même motif engage votre sœur à quitter demain la campagne, ainsi que son mari, ils jouissent tous d'une bonne santé. Mille amitié pour vous et les vôtres de la part de ma sœur. L'on jouit icy d'une grande tranquillité. Je la désire pour ma malheureuse patrie.

Je vous fais compliments de vos nouvelles fonctions. Le mouvement qu'elles vous occasionneront sera plus analogue à votre santé et à vos goûts. Les miens sont de vous renouveler la tendresse de votre bonne mère levet Morand.


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