Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 18 octobre 1798
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j'ai reçu, mon cher fils , votre lettre la veille du jour que Mme Demontherot nous quittait, nous ne l'avons eue avec MMe Duboys et leurs enfants que trois jours pendant lesquels il y a eu 36 heures de grosses pluies qui a privé de la promenade mais n'a point influé sur la gaieté. Mes filles étaient enchantées de se revoir, les leurs fort contentes de lier amitié et de jouir ensemble et de parler de leurs cousins ou cousines, ils manquaient à mes plaisirs. Le clavecin, je veux dire le forte piano n'a presque jamais été vaquant, ma fille a été très contente du jeu de Mlle Fumi, Mme Demontherot l'a été de celui d'Olimpe , il y avait émulation entre elles. J'ai eu bien du chagrin du départ de cette aimable femme plus je la vois plus je l'aime. Ses talents qu'on admire sont encore ses moindres qualités. La bonté de son cœur et la solidité de son esprit lui attacheront tous ceux qui la connaîtront. Je l'ai invitée de votre part pour Machy. Elle est fâchée de ne pouvoir y aller cet automne, réservant à un parent le peu de temps qu'elle pourra passer à la campagne. Elle a dû ne s'arrêter que vingt-quatre heures à Lyon. Je pense que vous étiez à Machy lorsqu'elle y est arrivée.
Je prends beaucoup de part mon cher fils à toutes vos inquiétudes, j'espère que les bonnes raisons que vous avez à faire valoir, pour empêcher que nul autre que la Compagnie ne puisse établir une traille sans nuire à vos droits, défendues par M. de Virieux , seront victorieuses, celle que vous donne la demande de l'acquéreur de la maison de la Déserte peut nuire à vos intérêts. Je l'ai craint lorsque M. Rieussec me parla du nouveau décret qui donnait deux mois pour demander l'évaluation des immeubles. Celle de la ville ne sera pas avantageuse si l'on ne part pas du prix des loyers qui devrait cependant il me semble servir de règle.
J'ai été aussi étonnée que fâchée de l'emprisonnement de celui à qui vous avez loué votre maison. Je n'ai pu lire le mot du lieu où il devait être transféré. Donnez-moi des nouvelles de ces deux affaires dans lesquelles je partage vos inquiétudes, peut-être que la femme pourra aider de quelque garçon intelligent continuer son état (sic). Plus que jamais l'état des choses font éprouver les vicissitudes de la vie humaine. Vous êtes dans la force de l'âge. Si votre état est pénible, vous avez l'avantage d'être utile à vos concitoyens, et d'apprendre à faire vos affaires en conduisant les leurs et jugeant de leurs différends ; l'habileté de M. Vitet , votre ami vous fournira des moyens contre ceux qui profitent des circonstances pour nuire à vos droits.
Je vois que notre cher James et sa maman ne partagent pas la peine que vous avez eue de la destruction de sa pension. Ce qui m'en console un peu c'est que cet enfant étant encore incommodé a besoin de la maison paternelle. Peut-être pendant vos vacances ferez-vous quelques bonnes découvertes et que quelques gens de mérite pourront le prendre comme ami. Vous aurez en attendant la ressource de M. Nicolas qui paraissait bien savoir développer son intelligence. L'on prend la fleur de pensée coupée le matin avec du lait, l'on la fait comme une infusion de violette ou telle autre en mettant une pincée lorsque l'eau bout. Si le lait l'incommode je pense que l'on peut la prendre seule. C'est ce que je demanderai au chirurgien que l'on a envoyé chercher pour voir la petite Louise qui a pris un accès de fièvre causé je crois par les vers et la dentition. Olimpe se porte à merveille. C'est à présent la santé de la maison. Mais elle reste bien petite. Elle est comme Albine pour l'intelligence, elle a une excellente tête pour y classer tout ce qu'elle apprend avec facilité. Auguste est un aimable polisson, il ne manque pas aussi d'intelligence, mais il est extrêmement distrait, fort vigoureux et d'une franchise qui fait excuser ses fautes dont il convient volontiers. Je me plais à leurs jeux, ainsi qu'à Lyon il n'y a que la joie de mes petits-enfants que je puisse partager je désire le moment où j'aurai le plaisir de les rassembler. Je vois avec peine que vos affaires me priveront de celui de vous voir dans ce pays-cy. Je me porte mieux depuis que je suis à la campagne, j'y suis moins triste qu'à la ville où je retourne mercredi pour faire mes lessives et mes provisions d'hiver. Je compte sur la parole que vous me donnez pour recevoir l'argent que vous me devez partie le quinze, et partie à la fin du mois, la première sera employée à payer les petits emprunts que j'ai faits, à solder les ouvriers à qui je dois et les petites provisions prises à crédit.
Le fermier de votre beau-frère ouvre ses vendanges aujourd'hui, l'on croit qu'elles seront bonnes, elles l'ont été dans la vallée où la grêle n'avait pas passé. L'on a cueilli les pommes la semaine dernière, elles ont été assez abondantes, j'espère que vos vendanges seront aussi bonnes que l'on vous les annonce. [...]
J'ai vu M. de Montauban le père , il est dans la plus affreuse misère, toutes ses ressources sont épuisées. Il vend son dernier couvert d'argent pour subsister. Son fils a passé 24 heures à Grenoble, il n'a pu me venir voir parce que c'était le jour de la grande pluie. Il en a passé autant à Lyon et n'a pas eu le temps de vous y voir. Mes compliments à tous les Second, à Mlle Reboul , les soins qu'elle a eus l'année dernière de sa bonne amie m'ont attachée à elle. Recevez pour vous et tout ce qui vous est cher ceux de votre tante . Elle se porte très bien depuis qu'elle est à la campagne. Embrassez pour moi bien tendrement votre femme et vos enfants. Je félicite ma chère Albine d'avoir pour amie Mlle De montherot , c'est la candeur et la bonté personnifiées. J'ai trouvé aussi beaucoup d'esprit et de raison dans les conversations que je me suis plu d'avoir avec elle. Je ne doute point que vous ne parveniez à vous étourdir sous tous vos ennuis, d'après le projet que vous en avez. Vous avez trouvé le secret de me faire rire sur le malheur du pupitre renversé. Adieu mon cher fils . Ne devenez pas paresseux pour m'écrire. Aimez votre mère comme elle vous aime. Sa tendresse est inaltérable. Elle est tout à vous. Levet Morand .
Besson et votre sœur vous embrassent tous bien tendrement.