Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 28 juillet 1798
Expedié depuis : Grenoble
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J'ai reçu mon cher fils une lettre de Mme Desgrange qui m'apprend que l'indisposition de M. Desgrange et le défaut d'occasion ont empêché de me faire passer les six cent cinquante livres que vous lui aviez remis. Comme elle en aura bientôt une pour m'envoyer ce que vous avez remis et promis de remettre. Ou qu'à défaut je la lui fournirai je vous prie de ne pas tarder de porter la totalité de la somme ainsi que vous me l'annoncez dans votre dernière lettre, et d'y joindre ce que vous me devez pour ma moitié des rentes viagères qui sont éteintes. J'ai remis à M. Desgranges la note que vous aviez faite à cet égard. Il y aura à ajouter les six cents échus au 28 juillet de la rente due à Béchus qui se monte à la somme de 40#8.9. Ainsi que vous en avez fait le compte dans ce même billet. J'ai le plus grand besoin de la totalité de la somme. Vous devez juger que lorsque j'aurai payé celle de neuf cents livres, celle qui me restera sera bien modique. Pour fournir à mon ménage jusqu'au 24 7bre toutes mes provisions de bois, huiles, chandelles beurre et les petits objets qu'il me faut acheter pour m'emménager et remplacer les armoires qui me sont indispensables. J'espère par mon économie pouvoir satisfaire aux emprunts que je pourrai être obligée de faire. Mais je ne suis pas encore fort arriérée puisque la somme que je vous demande m'est due depuis le 24 juin et que c'est par discrétion que je ne vous l'ai pas demandée quoique vous voyez qu'elle était bien nécessaire.
Ma fille , son mari et Auguste sont arrivés de leur voyage il y a une huitaine de jours. Ces deux derniers ont été malades dans leur séjour. Le père est mieux mais le pauvre petit a la fièvre tierce. Il a pris un émétique il est aujourd'hui à sa seconde médecine. Le chirurgien qui le conduit croit qu'il n'aura plus que deux ou trois accès. Cet enfant est infiniment raisonnable et bon malade pour le conformer au régime, souffrir patiemment et prendre les remèdes. Il est vrai que celui qui en a soin donne des médecines qui n'ont point de mauvais goût et que l'on prend comme un lait de poule. Je m'en ferai donner l'ordonnance pour notre cher James qui a une si grande répugnance pour les médecines ordinaires. Ma fille a pris les eaux avec succès. Elle se porte mieux. Ils sont restés à Grenoble pour la santé du petit ; ils n'ont pas de projet pour repartir pour Fontaine. Je pense que vous avez peut-être été aussi obligés de rester tous à la ville pour l'instruction de votre fils à défaut de pouvoir le mettre dans une pension et que ce projet sera renvoyé après les vacances. Albine y gagnera aussi pour ses maîtres et vous le plaisir de n'être point séparé de tout ce qui vous est cher.
Ne me faites aucun reproche sur mon éloignement. Ha mon fils ! Pourquoi toujours ajouter à mes peines au lieu des consolations que vous pourriez me donner mieux que personne. Tous mes chagrins vous sont connus. Vous devez croire que ce ne peut être que l'effet d'une grande et profonde douleur qui m'ait donné la force de vous quitter et d'abandonner à mon âge ma malheureuse patrie. De me séparer de tous mes amis, de mes connaissances. Je ne peux plus intéresser, ni prétendre à faire de nouveaux amis. Les malheurs et l'âge avancé ne peuvent qu'éloigner les indifférents, et me procurer la retraite qui est le seul bien auquel j'aspire. La présence de votre sœur , celle de ses enfants lorsqu'elle habite cette ville me procurent des consolations qui adoucissent mes chagrins.
En ne comparant pas votre appartement à celui que vous avez quitté, je crois que sans avoir un grand goût de simplicité, l'on peut en être content. Il paraît même que pour vous il était d'affection par l'extrême désir que vous avez témoigné de l'habiter. Il ne peut avoir que l'inconvénient de vous rappeler des souvenirs douloureux. Et votre cabinet gagner beaucoup en le comparant à celui que vous avez quitté. Ce n'est pas à vous à vous plaindre du changement. La rue Saint-Dominique qui vous place au milieu de vos amis ne peut que vous présenter un lieu agréable qu'il est difficile de considérer comme un local retiré.
M. Hubert qui m'a écrit au sujet de la demande d'un huissier qui ne doit pas me regarder en supposant qu'elle lui soit due m'a envoyé la copie de la lettre que vous lui avez écrite en lui envoyant les livres de votre infortuné père . La lecture m'a fait répandre un torrent de larmes, je l'ai lue, je la relis avec un plaisir douloureux. J'y retrouve les traces de cette sensibilité que vous annonciez dans votre enfance, qui faisait mes délices et le sujet de mes espérances. Ha mon fils , nos cœurs étaient faits pour être toujours d'intelligence. Revenez à votre naturel. Aimez-moi autant que je vous aime si vous voulez adoucir les peines de votre malheureuse mère .
Levet de Morand.
Ma sœur vous fait pour vous et pour les vôtres les plus affectueux compliments. Recevez ceux de tous les Besson .