Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 4 juillet 1798

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Archives municipales de Lyon, fonds Morand, FRAC069123_14II_31_1_1798_07_04_1.jpg
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Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey juge du tribunal rue Saint-Dominique n°66 à Lyon
Grenoble, 4 juillet 1798

Ajouté à la plume noire, de l'écriture d'Antoine : « rep. Par M. Dubois le 19 messidor. ».

Je suis comme vous, mon cher fils, dans le chaos des ballots, des caisses, composées de différents effets qu'il a fallu mettre sans ordre, je ne suis pas prête de savoir où tout arranger. Il y a cependant dans l'appartement que j'occupe bien des placards mais avec l'idée de n'y être que par entrepôt et ne voulant pas tout placer. Il m'en faut beaucoup, pour enfermer. Je suis excédée de fatigue. Depuis longtemps je mène une vie très pénible. Et obligée de vous remettre mon logement à l'époque de la Saint-Jean, je l'ai été de faire un travail forcé. Je compte prendre des bains dans quelques jours et faire quelques remèdes qui m'ont été ordonnés par M. Guérin.

Vos regrets, mon fils, ajoutent beaucoup à la peine de notre séparation. Ils sont déchirants pour mon cœur. Vous connaissez celui de votre malheureuse mère, qui sent tout ce que vous éprouvez. Vous avez voulu occuper l'appartement, le cabinet de votre infortuné père. Et succéder dès à présent à tous nos arrangements. Ce local ne peut que vous rappeler des souvenirs tristes et chers (jugez de ce que j'y ai dû y souffrir) mais vous êtes environné d'une femme que vous avez tant de raison de chérir. Des enfants à souhait et avez toutes les jouissances qui peuvent adoucir les peines de la vie. J'existe encore pour vous aimer, puis-je cesser de le faire. Vous avez abusé de cette tendresse et trop négligé celle qui toute occupée de sa douleur l'était aussi d'être consolée par son fils. Privée de cette douceur, fatiguée par le local où à chaque instant l'époque de ses malheurs était rappelée, il a fallu fuir et s'exiler de ces lieux funestes. Oubliez le passé s'il est possible. Et toutes vos inconséquences. Ne songeons qu'au plaisir de nous revoir. Je ferai l'impossible pour en hâter le moment. Il me tarde de voir arriver M. Dubois pour parler de vous, de tout ce qui vous appartient. Mme que j'ai vue hier m'a dit que son ami était parti ; ce qui me fait craindre qu'il ne se presse pas de venir. J'ai été à Fontaine vendredi dernier. Il y avait une très belle fête chez les Bourret, le mauvais temps priva votre sœur du plaisir d'y aller. Je suis revenue samedi matin trouver ma compagne et mes affaires. Votre beau-frère vient quelquefois à la ville. Il arrive avec ma fille et Auguste jeudi soir. Et partent tous trois samedi matin pour aller passer quinze jours dans la montagne chez M. Deblones. J'espère que le bon air leur fera du bien. Ils sont tous un peu maigres. Auguste est très grand pour son âge. Olimpe est venue avec moi à la campagne. Je suis très contente d'elle à tous égards. Elle a un peu grandi. Je crois que ma fille n'aura qu'à s'applaudir des sacrifices qu'elle fait pour son éducation, et du courage qu'elle a eu de s'en séparer : près de Mlle Lasagne, elle n'aura que des vertus à imiter. Elle a fait de grands progrès sur le forte piano. J'ai entendu son maître qui m'a paru avoir beaucoup de talent.

Je vous suis obligée mon fils de l'attention que vous avez de vouloir envoyer en votre nom les livres à Hubert le cinquième qu'il m'a paru désirer est Vitruve qui renferme dix livres en un seul volume. Vous le trouverez à trois ou quatre de distance des 4 de l'Architecture française.

La table du grenier dont vous me parlez avait été évaluée cinq livres j'en ai refusé trois. Le buffet l'avait été sept. Je le crois payé de cinq à six. Il est meilleur qu'il ne le paraît. La porte le déprise. Elle a été gâtée par un domestique qui avait voulu ouvrir sans clef. Ce sont deux bagatelles dont nous conviendrons lorsque nous nous verrons. Je dépense beaucoup d'argent à m'emménager. Pot, casseroles, gil. Etc etc. tout jusqu'à présent me paraît aussi cher qu'à Lyon. Il me faut acheter des armoires pour mes domestiques. Je voudrais en trouver de rencontre. J'ai bien fait d'apporter autant que je l'ai pu les frais de transport ne se comparent pas à ceux de vendre pour acheter.

[...]

Elle a dîné chez des amis, les Rétif, les Demefrai père et fils et Mme de Sion.

Est-il bien vrai que mes petits-enfants me regrettent ? Je crains d'en être bientôt oubliée depuis longtemps je les voyais peu. Dans un âge aussi tendre les absents ont tort. Parlez-leur quelquefois de leur malheureuse grand-mère. Rappelez-moi au souvenir de votre femme. Je désire bien que cette fièvre obstinée ne résiste pas à certaine époque. Et ne trouble pas son bonheur. Sa rétablie. Je ne vois rien qui puisse l'altérer que la séparation d'avec James qui n'en est pas une lorsque l'on est dans la même ville. Instruisez-moi du choix de la pension jamais cet enfant ne m'a été plus cher que lorsqu'il fallut m'en séparer. Embrassez-le bien tendrement ainsi que ses deux sœurs. Louise est comme Eléonore une jolie petite créature bien intéressante. Ma compagne qui vous aime vous regrette et vous embrasse tous. Mille choses tendres à votre femme . Ecrivez-moi toujours mon cher fils avec confiance que vos lettres soient comme la dernière expression du cœur ; je souhaite pouvoir y lire comme autrefois. Ils sont passés ces temps heureux, il ne reste à la meilleure des mères que des larmes à répandre. Mes compliments à ma chère fille De montherot, à ses parents (partent-ils bientôt pour les eaux ?). J'embrasse ses enfants, ne m'oubliez pas auprès de Mme Vial et de M. et Mme Degatelier. Si Pierrette est avec Mme Demontherot, je vous prie de lui demander de la toile d'emballage. Qu'elle a dû trouver. Vous me la ferez passer lorsque vous aurez quelque occasion. Le buste est arrivé à bon port et sans la moindre fracture.


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