Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 12 août 1796

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Transcription

Adresse ?
Paris, le 25 thermidor, à heures du soir.

Hier, ma bonne amie , j'ai reçu de tes nouvelles, je n'en espérais pas et je craignais que la lettre que j'avais remise à Auxerre au moment du passage du courrier ne te fût pas parvenue.

Avec ta lettre, j'en ai reçu une de ma mère , ah si jamais ma bonne amie j'étais assez malheureux pour affliger mes enfants par des preuves de défiance et des reproches et des plaintes sans fondement, rappelle moi ce que j'ai souffert, ce que je souffre de la conduite qu'une mère impérieuse tient vis-à-vis d'un fils reconnaissant et sensible !

Ce que je te dis là n'a cependant aucun rapport à la lettre que je reçois, car elle ne fait que me rendre compte d'un nouvel échec arrivé au pont pendant le temps qu'on l'a tenu ouvert et ne me parle pas du tout de nos affaires particulières, mais crois que depuis longtemps, elle me fait bien du mal, je ne crois pas avoir rien à me reprocher, je remplirai toujours mes devoirs moins par honneur que par sentiment, pourquoi faut-il qu'avec ce devoir de contribuer autant qu'il est en moi à adoucir les chagrins de ma mère, je sois si loin d'y réussir.

Mais je ne veux pas empoisonner par des idées tristes le plaisir que je trouve à m'entretenir avec toi, il faut demain matin être dehors à sept heures du matin [...].

En partant de Lyon j'avais laissé deux lettres sur mon pupitre, une pour Besson une pour M. Hélie , j'imagine bien qu'elles auront été mises à la poste je n'ai cependant encore aucune nouvelle ni de l'un ni de l'autre. Je t'assure que si j'avais à ma disposition la somme qu'a le premier j'achèterais (avec ton consentement toutefois) une petite maison à Paris, une petite campagne à côté et viendrais passer ici quelques années pour y exister tranquillement et nous occuper uniquement de l'éducation de nos enfants.

Il y a eu ici une fête superbe pour le 10 août, au champ de Mars, courses de chevaux, courses à pieds, jeux de bagues et cie. Et aux champs élisées, magnifique illumination et feu d'artifice avec danses et concerts. Il y avait un monde prodigieux, nous y avons été faire un tour tout en disant que nous n'irions pas là ; Mme Narbonne prétend que c'est nous qui l'avons entraînée, nous soutenons au contraire M. Virieux et moi que sans elle et sans l'envie qu'elle en témoignait nous n'aurions pas vu cette fête. Il y avait un peuple immense ; malheureusement une bombe où était de l'artifice a éclaté et blessé 18 personnes, 4 au moins sont déjà mortes et les autres bien malades ; mais ici on prend son parti sur ces accidents et l'on n'en parle qu'un instant ; il y a à Paris beaucoup de luxe, on ne s'y occupe que de plaisirs, on n'y lit pas seulement les journaux, on ne parle ni des décrets ni de nos victimes, et l'on vit avec une insouciance qui annonce qu'il n'existe plus d'esprit public.

J'ai été voir la personne en question avec M. Narbonne et M. de Virieu , ou la leçon qu'il a reçue l'a corrigé, ou bien il cherchera à me tromper, mais il nous a paru revenu à ce que nous désirons et nous en avons été contents ; j'aime mieux qu'il prenne ce parti que celui de me nuire ouvertement ; je ne le craindrai au reste qu'au Directoire, car son opposition au Conseil des Cinq-Cents me servirait plus qu'elle ne me nuirait.

Je suis extrêmement content de toute la députation nouvelle, [...] enfin mon affaire paraît se bien emmancher, mais le temps qu'il faut pourtant cela m'effraye à cause de l'état où est le pont et de celui où je me trouve quand je suis séparé de la meilleure moitié de moi-même.

[...]

Voilà ma bien bonne amie , je vais me coucher tristement, tu as au moins à caresser pendant la nuit, quant à moi je suis si las quand je me mets au lit que je dors toute la nuit.

Il n'est que six heures du matin, ma bien bonne amie et je peux te dire encore un petit mot ; [...].

Adieu ma tendre et unique amie, je n'ai pas besoin d'être éloigné de toi pour éprouver combien tu m'es chère et j'espère que tu partages à cet égard mes sentiments ; si jamais tu as pu concevoir l'idée que je puisse exister heureux partout où tu n'es pas, tu ne connaîtrais pas mon cœur et n'apprécierais pas mon tendre et inaltérable attachement. J'embrasse de tout mon cœur James et Albine , et les charge d'embrasser pour

Un feuillet manquant.


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