Adresse : Grenoble, le 24 juillet 1807Lettre déchirante d'Antoinette à Magdeleine, apprenant la mort d'Albine.
Je suis, ma chère fille
,
sans force et sans courage, pour vos entretenir de notre commune douleur et ce
n'est qu'avec un pénible effort que je m'y détermine ; qui peut mieux en
sentir l'excès que celle qui, frappée par un double Qui perce notre
cœur maternel, vient d'en éprouver tout récemment les cruelles atteintes. Cependant
l'âme remplie de souvenirs si douloureux, l'affliction que me cause cette
nouvelle perte est souvent suspendue par celle que vous, mon fils
, et cet infortuné mari
éprouvez et pour toutes les
circonstances qui l'aggravent. Faut-il que cette fille angélique douée de tous les dons de la nature
, l'amour de
tous les siens, vous soit enlevée par le sort le plus rigoureux, au moment où elle
paraissait rendue à vos soins, à nos vœux, à nos espérances ! Que vos noirs
pressentiments se vérifient et que le premier de vos chagrins soit un des plus
accablants, Ah ! Ma chère fille
, que les
desseins de la providence sont impénétrables, il faut bénir la main qui nous frappe,
nous soumettre, nous résigner, voilà ce qu'on me dit, voilà ce qu'il faut
faire. Ce n'est qu'en Dieu seul que nous pouvons trouver des consolations,
pour adoucir le sentiment de notre juste douleur. Je me garderai bien de me livrer à
ceux (sic) que me dictent mon cœur, aux tableaux déchirants qui se présentent sans cesse
à mon imagination. Je me borne à vous dire, rassemblez vos forces pour soutenir celles
de mon fils
affecté de ses peines et
encore plus des vôtres. P ce fils chéri si digne de toute votre affection,
qui vient dans ce moment de surpasser vos espérances par des succès dans un travail
entrepris pour vous plaire et les desseins de son bon père, pour fournir
une carrière glorieuse, et utile, sans périls, conservez-vous pour cette chère Léo
, si intéressante, pour la
sensibilité, la justesse de ses , les soins de son éducation, peuvent seuls
vous distraire, ils sont pressants elle est dans l'âge qui les nécessitent (sic).
Je pense comme vous qu'il vous est difficile d'aller si
tôt à Machy ou de surpasser tant d'événements différents, qui vous ont causé dans
des temps si rapprochés, des sensations si vives et si appuier (sic). Je crains que ce
ne soit abuser de vos forces. Vous ne pouvez cependant qu'en éloigner le moment.
Cette belle habitation fait les délices, la santé, de votre mari, de vos enfants, elle
fait la vôtre, vous ne pouvez y . Ne faut-il pas que chacun reste dans celle
des parents les plus chers, la présence des objets chers qui vous restent, leurs tristes
jours sauraient adoucir vos idées funestes et vous donner la force de les supporter. Je
ne me flatte point que vous puissiez les bannir de votre cœur. J'en juge pour
moi-même. Les larmes tarissent mais la douleur dure autant que notre existence quand
elle est aussi foulée.
J'ai toujours Olimpe
avec
moi, sa présence adoucit l'amertume de mes chagrins, elle les partage et paraît
répondre à ma tendresse : c'est d'après sa demande que mon gendre a prolongé
son séjour auprès de moi, elle a eu le plaisir de vous écrire ainsi qu'à mon fils,
elle craignait que ses lettres ne se fussent perdues lorsque vous étiez à Curis, parce
que James
ne lui en accuse pas la réception. Je
l'ai rassurée à cet égard, en l'attribuant qu'à un oubli. Quoique
j'eusse bien désiré contribuer à votre consolation, à celle de mon fils
, je n'ai jamais eu
l'idée d'aller à Lyon augmenter le nombre des malheureux. C'eut été
augmenter mes peines sans affaiblir les vôtres. Je prie le seigneur qu'il vous
les grâces nécessaires pour votre résignation. Embrassez bien tendrement mon fils
(cette lettre vous est commune)
cher James
, notre gentille Léo
. Hélas quelques baisers à notre
pauvre Azélie
. Cette chère enfant est celle
qui nous occupe le moins présentement et cependant celle qui fait la plus grande perte ;
embrassez aussi son infortuné père. Je ne tarderai pas de lui écrire. Recevez
l'assurance de la tendresse de votre bonne mère
Levet Morand
.
Ma sœur affectée de tous nos regrets et des siens vous embrasse
tous, et ne vous oublie point dans ses prières. J'ai vu M. Burdel qui m'a
promis d'écrire aujourd'hui à James
auquel
j'enverrai tout ce qu'il me demande aussitôt que la blanchisseuse m'aura
rendu son linge.