Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 20 juin 1801

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Transcription

Adresse ?
Paris le 1er messidor samedi

C'est toujours ma chère amie ta dernière lettre qui me fait le plus de plaisir cependant je t'avoue que ce plaisir-là commence à me paraître durer trop longtemps et je ne croyais pas qu'il pût m'arriver de trouver trop long ceux que tu me procures ; tu me le pardonneras cependant puisque c'est l'impossibilité de me passer davantage de mes plus douces jouissances, du bonheur d'être auprès de toi et de mes enfants qui m'empêche de mettre autant de prix à la faible consolation que m'offre ta correspondance ; j'espère néanmoins que ce que je te dis là ne te dégoûtera pas d'y mettre jusqu'à la fin la même exactitude car tout en me plaignant d'en être réduit à cette ressource je serais bien plus malheureux encore si elle venait à me manquer.

Je vais donc bien, décidément, ma tendre amie , m'occuper absolument des moyens de te rejoindre, si mon affaire d'imposition ne prend pas dans cette décade une tournure à finir d'une manière avantageuse, je compte la laisser en me mettant en règle seulement pour qu'on ne puisse pas d'après des ordres du ministre nous imposer jusqu'à nouvel ordre ; alors à la rentrée du corps législatif il y aura deux lois à faire rendre, celle du double péage et une générale pour la manière d'imposer les Ponts, c'est alors que je me servirai du projet que j'ai conçu, que je t'ai envoyé et que Gouret a approuvé.

Avant-hier j'allais voir M. Le Roy , je lui dis que je ne venais point le voir, que la décade qu'il m'avait demandée n'était pas encore écoulée mais que je venais lui apporter une lettre et un petit travail nouveau d'après la dernière conversation que nous avions eue ensemble, il m'a renouvelé la promesse de s'occuper enfin de mon affaire ; j'espère que la lettre que je lui ai adressée et le nouveau point de vue sous lequel je lui ai présenté la question son effet et accéléreront son travail. Mais il m'a dit qu'il se faisait appliquer demain les sangsues au fondement et quoi qu'il m'ait dit en même [temps] qu'il ne quitterait son bureau qu'hier et aujourd'hui il serait bien malheureux pour moi que cela le retint plus longtemps dans sa chambre ; la maladie de M. Sager sera longue, elle est aussi bien cruelle pour moi parce qu'il devait me faire dîner avec toutes les personnes les plus importantes pour nos affaires.

Quant à celle de la prorogation, je n'ai pas été chez M. Cretet depuis quelques jours, il doit arriver incessamment ; lorsque l'avis du préfet sera arrivé mon affaire sera bientôt expédiée, celle-là ne me donnera pas beaucoup d'embarras parce que grâce à M. Cretet l'aîné que tu connais sans doute à présent et à Mad. Teissère je suis chez ce conseiller d'Etat de manière à faire réussir tout ce que j'aurai à demander et n'ai besoin là du secours de personne.

[...]

Je ne sais vraiment que penser de mon Recommandé [Vauban ?], d'abord tu me l'as représenté comme un homme si singulier que j'ai craint de te l'avoir adressé à cause de la peine que tu pourrais trouver à le voir, maintenant c'est un beau jeune homme honnête aimable qu'on a beaucoup de plaisir à voir avec qui l'on joue souvent au tric trac, qu'on reçoit tous les jours, à qui l'on donne souvent à dîner, en tant qu'on se borne là, c'est en vérité fort heureux pour moi, mais maintenant me voilà avec des craintes plus fondées et plus grandes que les premières ; car tu n'es pas de l'avis de ceux qui disent que je ne suis pas jaloux. Tu sais bien que je ne connais point ce M. de Vauban  ; il est au reste infiniment reconnaissant de tout ce que tu as fait pour lui, mais je te prie de le borner à tout ce que tu me dis, j'espère qu'il s'en contentera et que s'il demandait davantage tu ne serais cependant point d'avis de le lui accorder.

J'ai reçu une lettre de M. de Vauban qui me fait de très grands remerciements et paraît enchanté de ma femme et des honnêtetés dont elle le comble et de tous les mouvements qu'elle se donne pour lui ; il faut espérer que si le pauvre mari y courait des dangers on ne le prendrait pas du moins pour un confident. Ce qui m'a touché c'est que cette lettre est remplie de fautes d'orthographe d'une certaine force. Tu vas devenir d'une bien grande [force] au trictrac et le pauvre minou sera mis de côté absolument, il le regretterait bien cependant car l'enfilade avec toi lui plaira toujours beaucoup.

Pour moi je fais des parties de spectacle, de promenade etc. avec une dame fort aimable, que j'accompagne avec plaisir, hier nous allâmes ensemble avec sa tante chez M. Sican voir les sourds et muets, nous y restâmes trois heures qui passèrent bien rapidement, rien n'est plus intéressant que cette institution, plus étonnant que les procédés qu'on emploie, plus admirable que l'homme qui la dirige. Mad de nous donna ensuite à dîner et le soir nous fûmes à un petit spectacle des boulevards [ajouté ensuite « Mayeuvre était de la partie »]. D'après tout cela je ne te parlerai pas de ma santé, il en résulte bien qu'elle est bonne, mon œil exige toujours beaucoup de ménagement et m'a constamment fatigué depuis que je suis à Paris ; au reste il y a beaucoup de maux d'yeux et il faut que des causes générales se réunissent aux particulières à mon individu pour expliquer le malaise qu'il a éprouvé toujours ce voyage. La dame à qui je rends des soins est bien désolée d'être séparée de ses trois filles, je crois qu'elle partira bientôt elle est bonne mère et toujours profondément affectée de la perte de son mari, elle gagne bien à être connue, elle sera sûrement empressée de te connaître davantage et je la crois assez raisonnablement occupée de l'éducation de ses filles pour qu'elle puisse te convenir. Le minou n'est pas assez heure[ux](déchiré) que sa femme soit jalouse de lui, il pourrait donc bien faire sa cour aux belles sans craindre de la tourmenter mais il n'y a pas la moindre propension et n'y trouverait pas la moindre jouissance, tant cette minette a fondé son empire sur des bases solides et durables. [...]


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