Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 19 mai 1801

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Transcription

N°32/ Sans adresse.
Paris, le 29 floréal an 9, mardi

Quoique les rêves soient des mensonges, ma tendre amie , je n'aime point que tu en fasses sur mon compte qui ne soient pas agréables et ne te pardonne pas surtout d'en être inquiète à ton réveil ; pour moi je suis plus adroit et malgré la couleur de mon lit, soit qu'un rêve consolateur me représente comme réalité les idées agréables qui m'ont occupé avant mon sommeil, soit qu'à moitié endormi mon imagination cherche à m'en imposer en me retraçant des plaisirs trop vivement sentis, pour être jamais oubliés, c'est toujours ton image qui fait le charme de ces moments de jouissance mensongère il est vrai, mais qui a bien ses attraits quand on [n']est obligé de s'en contenter, que je préfère du moins à tout autre éloigné de toi et qui ne me laisse jamais qu'un souvenir doux et pur comme l'objet dont je m'occupe. Quelqu'un qui lirait ce commencement de lettre me prendrait pour un amant ou pour un bien nouveau marié, il ne se tromperait point sur la première qualité, mon attachement pour toi est toujours aussi tendre et le bonheur d'être persuadé que le tien est aussi invariable, fait le charme de ma vie et me la rend chère dans les moments mêmes où j'aurais quelque envie de me trouver mal en ce monde. Les douceurs d'une union fondée sur la réunion de tous les sentiments de tendresse et d'estime, sont la plus grande félicité dont on puisse jouir ici-bas, que je plains ceux qui ne la connaissent pas ou qui l'ayant connue ont eu le malheur d'y porter atteinte et de la détruire.

Ce qui n'est malheureusement pas un rêve, ma chère amie , c'est que voilà plus de trois mois que je t'ai quittée et que je ne vois pas encore le moment où finira mon exil, je t'avoue même que quoique forcé de convenir que tu as raison, je vois avec peine dans ta lettre que tu me parles d'obtenir moi-même la prolongation du péage. Persuadée que rien ne se fera après mon départ ; sur cet objet je t'écrirai quand j'aurai tiré cette affaire-là plus au clair ; je vais connaître la position où se trouve M. de Laurencin , il vient de m'écrire je reçois au moment (sic) sa lettre dont je suis très content, elle en renferme une pour la personne qui suit ses affaires, elle est ouverte et il entre dans des détails qui prouvent sa confiance en moi et qu'il agit avec franchise. Malgré nos différends passés, j'aime croire qu'il me juge assez bien pour être persuadé que c'est la manière d'agir la plus sûre avec moi. Il me dit qu'il retournera à Lyon, je ne crois pas qu'il aille te voir je ne lui en avais pas parlé dans ma lettre, si par hasard cependant il y allait tu l'entendrais et comme je crois te l'avoir dit tu pourrais lui faire lire le mémoire que j'ai présenté au ministre de l'intérieur que tu as sans doute gardé et lui bien dire que comme tu sais que mon avis particulier avait toujours été d'obtenir la continuation du double droit, tu es bien sûre qu'en sollicitant l'exemption de contributions je n'ai rien mis en avant qui pût préjudicier au reste.

D'après une lettre de Maret (dont le ton n'est pas toujours très aimable mais qui a de l'amitié pour moi à sa manière et qu'il est bon de n'avoir pas pour ennemi) j'ai fait des démarches pour faire passer quelques rentes à une de ses parentes ; j'ai reçu 300# à compte et j'étais bien aise de les lui faire passer pour lui prouver le désir que j'avais de l'obliger. Comme j'avais encore de l'argent j'aurais bien désiré que Mad. Safret eût pris cet argent, mais cela n'a pas pu s'arranger et il a fallu le garder. Hier j'ai écrit à Maret et lui envoie un bon de 300# sur toi, je lui observe que n'étant pas prévenue et que m'ayant fait passer de l'argent il n'y a pas longtemps, je le prie de ne te le demander que quelques jours après la réception de ma lettre ; comme je n'imagine pas que tu puisses donner cet argent tu le demanderas à M. Tisseur , sur un reçu que tu lui feras de cette somme comme me l'ayant fait compter à Paris. Cela fait maintenant mille écus que la Compagnie a fournis pour mon voyage jusqu'à ce jour, j'avoue que cela me fatigue bien si je ne réussis pas, car sans cela j'espère qu'on ne regrettera pas les frais de mon voyage, mais où iront-ils, voilà encore ce que je ne sais pas parce que dans tout cela, il n'y a eu que des frais mais que s'il faut finir par les grands moyens cela deviendra considérable ; j'en ai toujours la crainte, bien décidé cependant à ne les employer qu'à la dernière extrémité ; c'est ce qui me faisait désirer l'assurance de voir les autres ponts y concourir au moins en cas de succès ;

J'ai été deux fois chez M. Bérenger sans le trouver ni ses dames de manière que l'épingle n'est pas encore rendue parce que je veux la donner moi-même, Aribert est parti pendant ma petite indisposition et je suis bien fâché qu'il n'ait pas été dans le cas de te voir à son passage à Lyon.

J'attends M. Duparpin et tâcherai de lui être de quelque utilité, je suis bien aise qu'avant son départ tu aies pu lui témoigner au moins l'intention de le satisfaire, les choses sont alors en règle, dieu veuille seulement que de plus longs retards ne le rendent plus doux, au reste il est très singulier et peut-être serons-nous du monde des heureux privilégiés qu'il ménage.

Ma santé est maintenant bonne, je prends de la chicorée amère, je crois bien que quelques tisanes légèrement purgatives m'auront été utiles, mais M. Vitet n'est pas partisan des purgatifs et il faut essayer de sa méthode. Il s'en faut bien que je puisse répondre en détail comme je le désirerais à ta dernière lettre je me borne donc à te dire un mot sur les choses les plus essentielles.

Quant à M. Périn , il n'est point étonnant qu'il ait fait affaire avec les autres, il lui fallait une salle, un bâtiment tout fait, et nous ne pouvons pas lui en fournir un, mais je crois qu'il faut par Hubert , conserver des relations avec lui, arranger un peu toutes les idées dont je t'ai parlé pour mon jardin et lui proposer toujours de former une compagnie pour cet objet ; si cela paraissait convenir à M. Hubert et à M. Périn , alors je mettrai plus d'ordre dans ce que j'ai projeté et t'enverrai un petit mémoire pour en démontrer les avantages et fixer les idées de ceux qui voudraient y prendre intérêt. Parais donc trouver tout simple l'arrangement qu'il a fait et ménage-le pour le reste, si cet homme veut se fixer à Lyon il lui convient d'avoir plusieurs cordes à son arc et de ménager la compagnie qui peut concourir à des spectacles publics comme ballons, courses, etc. car il trouverait toujours un intérêt.

Sur un cinquième feuillet, numéroté n°32 à l'encre

J'approuve fort tout ce que tu as fait sans les autres auprès de Jaumes et du Préfet mais je suis bien de ton avis pour l'avenir, je crains bien dans ce moment que différentes circonstances ne rendent plus difficile sur ce qui regarde les malheureux ém. (sic) et que par conséquent il ne devienne plus délicat et plus embarrassant de se mêler de leurs affaires, cela vient bien mal à propos car j'avais de l'espérance de réussir à quelque chose pour le grand cousin et Darvilliers. Les cartes se brouillent bien et nous avons grand besoin de recevoir de bonnes nouvelles d'Égypte et de pouvoir espérer la paix avec l'Angleterre, pour moi j'espère toujours et ma confiance repose sur l'homme prestigieux qui nous gouverne et semble jusqu'à présent commander aux événements. 

Il pleut bien depuis hier ce qui fait grand plaisir à tout le monde, j'espère que vous avez le même bonheur et que la campagne et les plantations des Brotteaux y gagneront. Si tu vas à Machy examine un peu comment vont toutes mes petites semences et recommande qu'on en ait soin, dis-moi si la chicorée sauvage pousse bien et qu'on n'y touche pas encore, il faudrait bien faire clore le bas du jardin. Je crains toujours qu'on ne vienne abîmer les petits arbres qui y sont plantés. Si tu peux avoir deux cents pots de vin blanc, ce serait bien bon

Je voudrais que tu fis acheter deux onces de colle de poisson chez M. Arthaudon elle est bien belle et pendant ton voyage s'il n'est pas fait, tu collerais le tonneau de vin blanc de la dernière récolte, en suivant le procédé qui est sur le petit cahier de recette (cahier vert) il faut un mois environ pour le bien éclaircir, alors on remplirait une cent Pots et on mettrait le reste en bouteilles. Quant au fond nous le laisserons si nous avons assez de vin vieux pour aller jusqu'en décembre. Tiens le bien crillé ainsi que tous nos tonneaux tant vieux que nouveau.

Ce que tu m'as dit de ce vieux juge me trotte dans la tête (ce que c'est que l'ambition et ce n'est pas elle cependant qui fait le bonheur !) et comme tu es la seule à qui je puisse tout dire je te ferai part de mes idées ; si on pouvait sans se compromettre, prendre des renseignements sur sa position et savoir ques [sic] qui l'a fait nommer, on pourrait à Paris agir auprès de son protecteur pour lui faire avoir quelque petite place dans son pays. Une autre idée serait de s'assurer de son intention de quitter et de lui donner pendant sa vie le quart de ce qu'on recevrait de la place ; cela pourrait le décider à se retirer dans ses foyers et à donner sa démission dans les mains mêmes de Minou qui n'en ferait usage qu'autant qu'il serait sûr de son affaire ; mais tout cela est bien délicat, Minette ne peut pas faire cela toute seule et un tiers est bien dangereux parce qu'il n'y a pas trop d'amis sur lesquels on puisse compte. Qu'il faut bien chercher à se placer mais non pas se préparer des chagrins ; ce n'est pas qu'au fond je répugnâs à un arrangement de ce genre, il n'y a rien de malhonnête et qui put par conséquent m'arrêter, mais malgré cela on ne voudrait pas que cela fût connu et il faudrait le plus grand secret ; cela a eu lieu dans tous les temps et souvent un démissionnaire conservait pendant sa vie une portion du traitement de la place qu'il cédait ; donner une somme pour le faire retirer serait dangereux et moins honnête ; le reste n'a rien qui puisse blesser la plus exacte probité. Je crois que le dernier nommé s'appelle Humbert , on dit que c'était un parent officier dans les gardes de Bonaparte qui l'a fait placer, j'ignore si c'est celui-là qui est vieux ; ceci est délicat, va doucement car on devinera bien les motifs de tes questions. Adieu ma bonne amie , je vais sortir, embrasse nos enfants et aime toujours leur père ; il paraît que l'entorse de James a été assez forte, recommande lui de ne pas chercher à courir pendant quelque temps et d'employer ses récréations à dessiner ou à des jeux assis, qu'il tâche d'apprendre les échecs, on les joue beaucoup à Paris et cela peut être agréable.

J'ai vu dimanche Mlle Langier , elle n'est pas jolie mais grande, bien faite et d'une gaieté franche, elle a de l'esprit naturel, sa mère est bien à plaindre, elle n'a pas même un forte piano, ayant été obligée de rendre le sien. Il y a des êtres bien malheureux.

Donne-moi des nouvelles de M. Oddoux . Il m'avait promis de venir me joindre. Il paraît que je lui en ai bien donné le temps. Sa femme n'a pas été longtemps à Paris, elle était déjà partie quand j'ai été pour la voir.

Vitet et Rambaud sont ceux qui souvent te donnent des renseignements mais on ne peut pas tout leur dire.


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