Lettre d’Antoinette à son fils Antoine, 25 mars 1801
Expedié depuis : Grenoble
Facsimilés
Si le zoom ne fonctionne pas sur votre navigateur : cliquer sur l'imageTranscription
Qu'il est consolant pour moi, mon cher fils , de ne pouvoir plus vous faire le reproche que vous paraissiez m'abandonner, et n'être plus touchée de mes maux, votre éloignement, ma maladie vous rapprochent de moi et me donnent le retour de cette ancienne affection qui faisait les délices de vos parents, votre lettre à un de mes Esculapes, celles que vous écrivez à votre sœur , qui expriment si bien les sentiments filial et fraternel, m'ont touchée et fait la plus agréable sensation. Si comme je l'espère ils peuvent n'être plus altérés dans la suite, je ne me plaindrai plus d'avoir été malade et de vous avoir causé quelques inquiétudes, je me suis chargée de répondre à la dernière lettre que vous avez écrite à votre sœur. Pour vous mieux rassurer ma convalescence est longue. Je crois cependant toucher bientôt à mon rétablissement. J'ai été 4 jours en voiture. Le froid que nous éprouvons depuis hier m'a empêchée de continuer. Je crois que cet exercice m'aurait fait beaucoup de bien ; parce qu'il s'est joint maintenant des vapeurs, suite inévitable de la maladie causée par l'effet de mes longs chagrins et de l'indifférence que j'ai pour la vie et pour tout ce qui peut me distraire. M. Housset mon nouveau docteur se flatte que le retour de la belle saison et ses soins me rendront la santé. Ma tête est toujours souffrante et ma poitrine douloureuse.
J'ai été aussi très sensible aux marques d'attachement que m'a données votre femme , elle a vu M. Parra , elle l'a fait écrire à M. Silvy , pour mieux savoir de mes nouvelles. Ma sœur m'a fait part aussi depuis quelques jours de l'intention qu'elle lui avait témoignée de venir avec Marie aider à me donner des soins. Je lui ai écrit pour la remercier de ses procédés obligeants, et du prix que je mettais aux preuves de son amitié.
J'ai lu mon fils le lendemain que je vous écrivis, dans le journal de la Clef du Cabinet, un article qui m'avait bien réjouie et ensuite bien impatientée. Dans un projet de loi du corps législatif il est dit qu'il maintient la taxe d'entretien qui se perçoit sur le Pont Neuf à Lyon, quoiqu'il me parût singulièrement fait je crus que vous ne vous étiez pas soucié de mettre le pont Morand et qu'il est aisé de s'abuser dans ce que l'on souhaite je n'étais étonnée que de ce que vous ne m'en donniez pas la nouvelle. Je le fus bien davantage quand je vis quelques jours après que cette loi avait passé au tribunal au profit du nommé Nigret dont je n'ai jamais entendu parler je suis à deviner de quel pont on a voulu parler.
Causant l'autre jour avec M. de Saint-Aubin toujours prêt à m'obliger (à qui je dois encore six louis quoiqu'il en ait très peu) il m'apprit qu'il avait au tribunal un ami intime, homme de mérite, chargé de rapporter beaucoup d'affaires et fort considéré de gens accrédités. Je lui demandai une lettre pour lui, que je vous envoie. Vous la trouverez un peu tardive, mais comme il est possible que vous ne pussiez pas activer M. Derolin à votre gré j'ai pensé que cette nouvelle connaissance pourrait accélérer la sanction du tribunal lorsque vous aurez obtenu le projet de loi. Il me tarde de l'apprendre, touchant je crois à la fin de la tenue du corps législatif. Je ne puis croire qu'avec tant de droit pour obtenir justice, de voir qui l'appuie, vous puissiez échouer. Vous ne sauriez croire combien ce digne Saint-Aubin est bon, sensible et honnête, il est malheureux, vous voyez qu'il a bien des droits à mon attachement, il m'est venue voir fort exactement tout cet hiver que j'ai passé dans mon appartement. J'aimerais pouvoir adoucir ses maux. Il est aussi fort aimé de votre sœur et beau-frère . C'est un sentiment qu'on ne peut lui refuser lorsque est bien connu (sic). J'ai accepté sa lettre pour son ami dans l'espérance qu'il pourrait vous être utile dans vos affaires personnelles c'est notre secret, et après quelques conversations avec lui sur ses liaisons (c'est ce que vous pourrez juger) en affaire il ne faut rien négliger. Je vous plains mon fils de faire le métier de solliciteur. Votre infortuné père et moi l'avons fait longtemps, je sais comme il est pénible. Les succès font ensuite tout oublier. Vous y êtes accoutumé, heureux dans nos projets par quelle fatalité a-t-il fallu que j'aie échoué dans la défense de leur respectable auteur . Hélas ! Il n'a eu que moi pour le défendre et à quel tribunal, celui de déni et d'iniquité. Cet affreux souvenir trouble toujours ma raison, ma tête s'embarrasse et mon cœur déchiré n'a plus que la force de vous exprimer toujours la tendresse de votre mère pour un fils chéri. Tante, frère, sœur nièce neveu tous vous saluent, Auguste est mieux, il a un vésicatoire dont j'espère beaucoup d'effet.