Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 16 septembre 1799

Expéditeur : Antoinette Morand
Expedié depuis : Grenoble

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Transcription

Au citoyen Morand Jouffrey Juge du tribunal civil de Lyon département du Rhône rue Saint-Dominique n°66.
Grenoble, 30 fructidor an 7

Je n'ai pu mon cher fils répondre hier à votre dernière lettre ainsi que vous le désiriez ; b… n'était pas arrivé de la campagne et quoique je connusse déjà son avis j'étais charmée que celui que j'ai consulté conféra avec lui pour vous en écrire le résultat. Celui qui me guide a la réputation justement méritée d'être un des hommes les plus éclairés de la province ; j'avais fait sa connaissance chez un de ses amis qui m'a recommandé à lui, il me l'a amené chez moi et il a eu la bonté d'y venir toutes les fois que j'ai désiré le consulter ; je lui ai lu votre lettre, il a pris lui-même lecture du projet de déclaration que vous m'avez envoyé, ainsi que du mémoire présenté par la compagnie aux citoyens composant le jury, et après avoir bien réfléchi, et tout discuté, il pense que je ne suis pas dans le cas de faire ma déclaration puisqu'il est prouvé par le mémoire que mon usufruit est illusoire et de nulle valeur en ce moment, que ce serait attirer et fatiguer inutilement l'attention des administrateurs que d'aller le leur dire ; et qu'en supposant que je fusse recherchée, je ferai usage du mémoire (que j'ai trouvé parfaitement bien fait) et leur dirai que depuis l'époque de mes malheurs, je n'ai vécu que d'emprunts et des avances que m'a faites mon fils . J'ajouterai que les administrateurs du département du Rhône prétendent que les ponts et autres choses semblables doivent être taxés en masse et qu'ils ont engagé le jury à ne pas encore statuer sur cet objet. Que si c'est collectivement l'on a droit d'attendre de la justice qu'il ne demandera pas l'emprunt forcé sur un pont qui bien loin d'avoir été productif a la compagnie a exigé de sa part des emprunts pour son rétablissement et que puisque la loi ne veut pas que l'on puisse exiger au-delà du trois quart des revenus, l'on ne peut demander à ceux qui n'en ont eu aucun.

Quant au désir que vous avez que je communique le mémoire à M. Hélie il serait inutile et dangereux de le satisfaire. Inutile parce qu'il a fait sa déclaration, dangereux parce qu'en voulant peut être en rappeler, il ne pourrait s'empêcher de me citer et de s'étayer de mon exemple et vous rappeler le tort que vous avez eu de rester quinze jours sans lui répondre (ce dont il s'est plaint amèrement) je crois donc qu'il est important que je ne l'instruise point de ma réticence, que je garde la minute du mémoire qui peut m'être nécessaire et que dans la suite lorsque le jury aura décidé de quelle manière la compagnie doit payer vous pourrez vous ou tel autre associé lui en envoyer copie pour qu'il en fasse l'usage que bon lui semblera. Je ne lui ai jamais parlé de notre arrangement. Il paraît ne pas ignorer que nous en avons un puisqu'il compare toujours votre position à la sienne vis-à-vis de sa belle sœur. J'ignore s'il en connaît le montant et ne sais ce qu'on lui a dit à cet égard à Lyon, je lui ai répondu lorsqu'il m'a représenté qu'il convenait à vos intérêts que je fisse ici ma déclaration de mes actions, qu'une bonne mère ferait toujours tout ce qui serait le plus convenable aux intérêts de son fils, je n'ai cessé de le présenter à mon conseil. Et je crois que pour n'y pas nuire il est important de taire à tous les associés le parti que nous avons pris dans la crainte que quelque mal intentionné n'en écrivisse à Grenoble.

b… , sa femme , votre tante et d'autres ont toujours été opposés à ce que je fisse aucune déclaration mais mon conseil (et j'ose dire moi) ne nous sommes décidés que d'après le mémoire que vous m'avez envoyé et qui prouve la vérité de notre triste position.

J'aurai une lettre de change sur M. Desgrange et d'après votre recommandation je n'ai osé la prendre avant mercredi prochain dans l'emprunt qu'il pourra vous faire, je vous prie d'y comprendre le terme qui va échoir. Car ce que vous m'envoyez sera plus qu'employé au frais de déménagement qui me nécessitent d'acquérir des buffets armoires et de payer hic et nunc de mes meubles et des ouvriers de tout genre quoique je renonce de faire des chaises pour mon salon qui me seraient cependant nécessaires, me bornant à l'indispensable. Vous avez sans doute pensé comme nous que je ne ferai aucune déclaration, en ne m'envoyant aucun argent. J'aurais été bien embarrassée s'il en eut fallu donner. Je n'ai que le temps de vous embrasser et de vous renouveler l'assurance de ma tendresse.


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