Lettre d'Antoinette à son fils Antoine, 26 juin 1798
Expedié depuis : Grenoble
Facsimilés
Si le zoom ne fonctionne pas sur votre navigateur : cliquer sur l'imageTranscription
Je n'ose mon fils revenir sur nos adieux. J'aurais voulu vous les dérober et je ne
sais qui a eu l'imprudence de vous instruire du jour de mon départ. Il m'a
semblé que mon cœur se détachait de moi. Ma femme de chambre m'a dit que vous
étiez dans un état terrible, je me reprochais d'en être la cause. Je suis fâchée
que le seul moment où vous parvinssiez disposé à une effusion de cœur et où
j'avais le courage de vous dire la vérité, j'ai été interrompue par une visite.
Ha mon fils ! Si vous en aviez eu quelques-uns de semblables, jamais je
n'aurais eu le courage de m'éloigner de vous. Mais si différent de vous-même
l'après-midi pour avoir eu encore le ton de l'emportement, employant comme vous
l'avez fait tant de fois le reproche, la plainte, et l'outrage contre une mère
qui ne peut ajouter à son bienfait puisqu'elle a tout donné. Si la jouissance
qu'elle vous a abandonnée est retardée, elle n'en sera pas moins avantageuse.
Sans votre qualité de fils et de donataire n'est-ce pas à vous à me faire les
avances et à adoucir les maux auxquels j'ai failli succomber. Le matin lorsque
j'ai quitté des lieux funestes je les regrettais par les objets chers que j'y
laissais. Je me suis pressée de partir le donner ayant eu beaucoup de peine à
terminer mes affaires et ne l'ayant fait que par un travail forcé dans la
crainte de revoir mes chers petits-enfants. Leur vue m'aurait percé l'âme et mis
hors d'état de vaquer à mes affaires. Embrassez pour moi votre femme et mon cher
James ma chère Albine et ma jolie petite Eléonore. Puisque je vous suis encore chère, entretenez-les quelquefois de
leur malheureuse grand-mère. Les larmes qu'elle vous a fait
couler auront été essuyées par des mains bien chères. Celles que je versais
étaient adoucies par cette idée. En jetant les yeux sur l'appartement où je
pensais que vous reposiez
Adieu trop aimable enfant quelque fois cruel, il faut bien vous aimer avec vos défauts, et vos vertus. Je suis et serai toujours votre bonne mère Levet Morand.