Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 9 novembre 1796

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Lyon

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Transcription

A la citoyenne Morand – Jouffrey, à Machy, commune de Chasselay, par la petite poste, à Lyon.
Lyon, 19 brumaire an 5, 10h du soir

Quoi qu'en dise madame , je serai tenté de croire qu'il vaut mieux être à cent lieux qu'à deux ; au moins la correspondance est plus exacte et ce sont des lettres qu'on reçoit et non pas un petit billet qui commence par dire qu'on a bien sommeil et finit par vous souhaiter une bonne nuit sans qu'on trouve rien de tendre dans quelques lignes tracées à la hâte et sans qu'on puisse y apercevoir autre chose que le besoin qu'on avait de dormir. Pas seulement des nouvelles de mes enfants, aussi le billet a-t-il été déchiré à la seconde lecture et par conséquent les commissions qu'il renfermait, bien inutilement données.

Je mène ici une triste vie et malheureusement pour moi c'est ce que j'éprouve partout où j'existe séparé de la meilleure partie de moi-même , il est certain (je commence à le croire) que c'est un malheur que de se rendre absolument dépendant d'un autre être dont tous les sentiments, dont toutes les activités font vos plaisirs ou causent vos peines, mais quand on a pris cette douce et mauvaise habitude il n'est plus possible d'y renoncer sans renoncer en même temps à la vie, ou du moins à tout ce qui la rend agréable.

Je viens d'éclairer ma pipe et je continue, non pas à faire des réflexions mais à causer avec toi.

J'ignore absolument quand je serai libre, quoique les affaires postées par devant les jurés finissent demain. Il nous en reste beaucoup à juger entre nous et ce ne sont pas les plus aisées et surtout les moins pénibles à tous égards. Je ne peux pas espérer de pouvoir retourner à Machy avant mardi, à moins qu'on ne s'arrange pour renvoyer quelques affaires sauf à revenir et se rassembler deux fois à la fin de la semaine prochaine ; après demain nous allons tous dîner à la chez M. Vouty où nous déciderons cet objet.

Ces jours derniers nous n'avons quitté le palais qu'à près de cinq heures ; j'ai dîné un jour chez un M. de la Martinière, hier chez moi avec quatre de ces Messieurs, avant-hier chez Mme Dupeulle qui heureusement pour moi a eu recours à Paire pour suppléer à son morceau de Bouilly froid. Aujourd'hui nous avons terminé de bonne heure et j'ai dîné chez Mme Oddoux . J'ai passé une soirée avant-hier chez Mme Narbonne où j'assistai au souper attendu que je sortais de table j'en fis autant hier chez les Sain . Demain au soir nous devons y aller prendre du punch avec M. Oddoux et Mme Morand qui est venue ce soir m'en prévenir. Combien il n'en fut pas question.

Comme je te l'ai dit, ma bonne amie , tu auras ton nouveau jardinier dimanche, ainsi que Mlle sa fille et il faut t'arranger pour qu'Antoine qu'on dit très bien placé s'en aille auparavant, encore une fois fais-lui faire une note de ce qu'il voudra bien nous laisser ; il y a quelques outils pour la cave [...] mais s'il prétend que tout cela lui appartient il sera difficile de l'avoir et il vaut mieux quelques petits sacrifices que la moindre difficulté. [...] Je sais bien qu'il aurait été convenable de se trouver là, mais cela m'étant impossible, il faut bien t'en donner l'embarras.

Je n'ai rien fait pour moi, pas seulement une visite, samedi soir j'ai une assemblée pour le Pont qui continue de bien aller à quelques petites criailleries près auxquelles il ne faut pas faire la moindre attention. J'ai passé deux soirées avec ma mère , celle de mon arrivée et une autre ; ce soir je suis rentré de bonne heure dans l'intention de travailler pour le tribunal et M. Menond et ensuite Morand m'en a empêché ; je viens de souper avec les restes d'une truite que Pancha m'envoya pour mon dîner hier qui m'a coûté plus cher que ne t'aurait coûté un dîner de quinze personnes ; et je vais me coucher pour me lever demain de bonne heure ; je ne dors pas trop bien et cependant je n'ai pas sommeil et me couche toujours assez tard.

Le bois est hors de prix cependant je ne partirai pas sans m'en être assuré de quelques …. ; j'attends une seconde charrette de fagots et t'enverrai du sel [...] ; j'aurai bien besoin d'un habit mais malgré le froid qui commence à se faire sentir je n'en ai pas encore acheté un, il y a d'ailleurs de bonnes raisons pour cela et quand j'aurai payé le bois il ne me restera rien que des dettes de tous les côtés, je ne sais cependant comment faire, il est impossible de se procurer de l'argent et il est à présent à 3%. [...]

Bonsoir, je vais essayer de dormir et si je n'en peux venir à bout, je charmerai le veuvage en pensant à toi et en préparant ainsi des rêves agréables lorsqu'enfin le sommeil fermera mes paupières. Mille baisers à nos enfants.


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