Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 12 septembre 1796

Expéditeur : Antoine Morand
Expedié depuis : Paris

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Transcription

A la citoyenne morand-Jouffrey à Machy commune de Chasselay par la petite Poste, à Lyon.
Paris, le 26 fructidor l'an 4 de la république

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Il me paraît que Madame va bien vite en besogne ; l'affaire devait être finie au Conseil des Cinq-Cents, bien avancée aux Anciens, et moi occupé de graisser mes bottes. Doucement, je vous prie, mettez-vous dans la tête que tous ces Messieurs ne sont pas à mes ordres, qu'il est difficile d'obtenir la parole, dans un moment surtout où de nouvelles scènes viennent chaque jour donner lieu à des discussions importantes qui occupent l'Assemblée et éloignent les affaires courantes.

Hier nous avons eu un grand dîner où M. de Virieu, M. Narbonne, et moi avions réuni les gens à qui nous voulions faire notre cour. L'événement d'hier ayant prolongé l'assemblée bien tard, nous dînâmes à sept heures du soir, et sortîmes de table à dix heures ; j'avais pour ce qui nous regarde, MM. Rambaud, Beram, Duplantier, Nugues et Mars ; Champeix avait une fluxion qui nous privait de l'avoir.

Tu sais, ou pour mieux dire tu sauras par les journaux tout ce qui s'est passé, il est bien prouvé que les anarchistes ou Jacobins sont les seules causes de ces Mouvements ; plusieurs sont restés sur le carreau dans cette occasion, il y en a plus de cent faits prisonniers dans le nombre et le brave Javogues, le Reverchon de Montbrison et beaucoup de gens fameux dans les comités et armées révolutionnaires ; mieux il a été décrété que les prisonniers seraient jugés militairement, et qu'on ferait des visites domiciliaires à Paris pendant quelques jours et de jour seulement.

En conséquence j'ai été ce matin me faire donner une prolongation de séjour à Paris par le bureau central, avec un certificat des députés de Lyon, on m'a donné trois décades et il faut bien espérer que ce temps suffira pour terminer mon affaire. Ne crois-tu pas qu'il sera suffisant ?

J'ai reçu une lettre de M. Hélie de Grenoble qui paraît craindre que je ne réussisse pas, mais qui ne se plaindrait pas je crois du sou si nous l'obtenons ; Avanchy a toujours peur, cela est cependant bien peu fondé et pour moi je suis très tranquille sur l'effet que cela produira, avec un décret nous n'aurons point à craindre qu'on veuille nous rien disputer ; nous ne tarderons pas à voir rétablir les octrois des villes, tous les impôts indirects et ensuite les barrières sur les grandes routes ou comme en Angleterre, on contribuera par un péage à l'entretien des grands chemins ; je suis donc bien persuadé que notre péage ne paraîtra pas longtemps exorbitant et que le peuple sentira la justice à contribuer par cette augmentation au rétablissement d'une communication aussi intéressante ; il va commencer dans le mauvais temps, alors il y a peu de monde et quand la belle saison reviendra on y sera tout fait accoutumé.

Je ne sais pas comment nous faisons, nous empruntons de tous les côtés et nous prêtons aux autres ; la dame l'écrivit à sa mère mais elle m'en parla, sa lettre n'était pas cachetée et je la priai de bien engager sa mère à n'en pas parler car tu sens que la mienne aurait bien pensé plus que jamais que nous avons de l'argent à notre disposition.

[...]

J'ai été ce soir au spectacle avec M. de Virieu et Mme Narbonne on a donné le Club des bonnes gens, il y avait bien du monde c'était la première fois qu'elle était remise au théâtre, elle a été prodigieusement applaudie et m'a fait le plus grand plaisir ; je ne sais si c'est cette pièce, ou bien l'habitude que je prends insensiblement de vivre à Paris, mais je suis ce soir fort gai et content contre mon ordinaire ; il est vrai que ce qui s'est passé hier doit donner du courage aux honnêtes gens, le journal de ce soir m'a fait plaisir, il t'en fera aussi mais je ne voulais pas que comme cela a eu lieu un jour, il arrivât avant ma lettre ; tu aimes les nouvelles, voici ce que j'ai lu dans le journal du soir.

Conseil des Cinq-Cents, séance du quitidi…. une commission spéciale propose un projet dont le but est d'accorder pendant cinq ans à compter du premier vendémiaire prochain, aux concessionnaires du pont Morand de Lyon, un droit de péage de cinq centimes pour chaque passager, et un droit proportionnel pour les chevaux et voitures, à la charge pour eux d'y faire les réparations convenables. Adopté

Si je journal est arrivé avant ma lettre, c'est moi qui serai attrapé, ah aussi c'est bien mal, il est toujours le même et se plaît à faire enrager sa bonne amie, vous boudez, je voudrais bien être auprès de vous pour recevoir une tape et ensuite un baiser ; je t'assure qu'il m'en coûtait bien d'attendre de retourner cette quatrième page pour parler d'un succès auquel j'ai moi-même de la peine à croire, j'étais loin d'espérer cette célérité et il est très vrai que ce n'est qu'à la fin du spectacle que j'ai acheté le journal et y ai trouvé mon affaire. J'espère qu'à présent tu seras en état de répondre à la question que je te faisais tout-à-l'heure, de savoir si trois décades suffiraient pour finir.

[...]

Je te quitte ma bonne amie pour écrire à ma mère, à MM Avanchy et Hélie  ; demain je sortirai très matin pour voir M. Pastoret. C'est à lui que je dois cette incroyable célérité. M. de Virieu et Mme Narbonne à qui je lisais l'article au spectacle, croyaient que je le fabriquais et ne revenaient pas de leur étonnement quand je le leur ai fait lire. Elle en est bien contente mais me disait franchement qu'elle était piquée de me voir terminer si vite pendant qu'elle était encore dans l'attente. [...].


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