Lettre d'Antoine à son épouse Magdeleine, 3 décembre 1794
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Je ne t'écrirai que deux mots, ma chère amie , parce que j'ai travaillé jusqu'à présent et ai encore bien à faire demain matin jusqu'au départ du courrier.
Avant-hier ta lettre du 4 et le billet du 6 y joint, m'ont fait grand plaisir, hier j'en ai eu beaucoup à recevoir une lettre du citoyen Pecoul renfermant mon congé, ce matin j'en ai eu un grand en voyant entrer Bonnafous dans ma chambre et ce soir je ne suis pas cependant trop content ; parce que Bonnafous est venu pour tout autre chose et n'avait pas reçu la lettre de Lagent, avant son départ d'Embrun ; parce que tout en convenant qu'il m'avait offert de me remplacer, il m'a dit que bien des raisons de famille lui faisaient désirer de rester maintenant à Embrun ; parce qu'il ne parut venir qu'à son corps défendant, qu'il compte écrire à Pecoul pour qu'il envoie quelqu'un d'autre me remplaçant, … et surtout parce qu'il repart demain matin pour aller chercher du linge mais sans que je sache précisément quel jour il reviendra, ce qui va bien me retarder et me faire cruellement souffrir ; il faut cependant prendre mon parti, je l'ai tant prié tant fait de bassesses, que peut-être il se piquera d'honneur pour m'obliger.
Mais ce qui me fâche bien encore, c'est que trois décades y compris l'aller et le retour, c'est diablement bref, j'espérais bien obtenir du citoyen Pecoul une petite prolongation ; et lui observer que si ce temps-là lui paraissait suffisant pour opérer mon rétablissement il fallait bien une décade de santé pour que quelqu'un put en profiter ; mais comment faire si Bonnafous ne reste ici qu'à contrecœur et s'il se plaint même d'être obligé d'y passer un mois ; tout cela me désole et cela m'a rendu ma triste raison que j'avais quittée ces deux jours, ce qui ne m'était pas arrivé depuis furieusement longtemps ; j'étais fou et cela paraissait tout extraordinaire à mes parents et amis, car mon caractère qui n'a jamais été gai est devenu diablement triste.
Ce retour me privera peut-être du plaisir de voir Pecoul et cela me fâche bien ; si par hasard, tu viens à Lyon, tu peux lui dire ce qui m'arrive vis-à-vis de Bonnafous et voir aussi d'avance si l'on peut obtenir une petite prolongation de congé, car il ne faut pas être indiscret, mais j'aurais voulu les 3 décades de séjour, c'est à quoi je borne ma demande et mon ambition, tu sais ensuite que je suis de parole mais le reste est aussi trop court, ayant autant de chemin à faire.
J'embrasse mes bons petits amis, je m'étais flatté de ne pas tarder beaucoup à les serrer dans mes bras, mais il faut retarder ce plaisir, j'aurais bien voulu pouvoir courir les risques d'être reçu comme un étranger, j'avoue que j'aurais été un peu attrapé, mais comme tu le dis, ce sont les jouissances du cœur et des sentiments qui sont surtout délicieux, le reste cependant ne gâte rien à la chose, ce n'est qu'un accessoire, mais il a bien son mérite et il n'y faut renoncer que lorsqu'on ne peut pas mieux faire.
Mais il ne faut pas traiter cette matière quand on va se coucher tout seul, bien tard, et qu'on n'a que quelques heures à dormir. Aussi je t'embrasse mille et mille fois, je ne peux pas me flatter maintenant de partir avant le milieu de la semaine prochaine, quelle différence ! Il fait un temps superbe, qu'il est cruel de n'en pas profiter dans une saison où il est aussi rare.
Le retour de mon bon ami
me comble de joie, et ajoutera bien au plaisir que j'avais à me retrouver à Machy;
ç'aurait été une grande peine pour moi que de revoir de chez moi ses possessions sans
savoir où il était car je n'ai pas eu à cet égard le même bonheur que lui, et il m'a
tenu cruellement en peine