Accueil > Le tutoiement révolutionnaire

Le 8 novembre 1793, un décret impose le tutoiement dans les administrations. Quelques jours plus tard, le conventionnel Basire demande qu’on ordonne aux citoyens de se tutoyer. En vain. Thuriot lui répond : « On sait bien que le vous est absurde, que c’est une faute contre la langue de parler à une personne comme on parlerait à deux, à plusieurs, mais aussi, n’est-il pas contraire à la liberté de prescrire aux citoyens la manière dont ils doivent s’exprimer ? Ce n’est pas un crime de parler mal le français. »

Dans la correspondance entre Antoine et Magdeleine Morand, on découvre que le tutoiement s’impose pendant l’été 1794, alors qu’il est en exil à Briançon depuis des mois : « que ta lettre chère amie du 23 me fait plaisir, elle est charmante, je la trouve des plus précieuses, juge de mon bonheur tu m’y permets de te tutoyer, ha garde toi de te raviser, voilà qui est fait et pour toujours. » On trouve également, dans le fonds Morand, la copie de la main d’Antoine du quatrain intitulé De Jean-Jacques prenons le ton.

« De Jean Jacques prenons le ton
Et ne parlons que son langage
Que Vous ne soit plus de saison
D’un couple heureux soyons l’image
Vous effarouche les amours
Et Toi les ramène toujours.

Tu tiens à Vous, peut être à moi
Moi, j’aime Toi, c’est ma folie
Et tel est mon amour pour Toi
Que pour Toi seul j’aime la vie
Vous effarouche les amours
Et Toi les ramène toujours.

Ce vilain Vous peint la froideur
Ce joli Toi peint la tendresse
Vous souvent afflige le cœur
Toi bien placé, comblé d’ivresse
Vous effarouche les amours
Et Toi les ramène toujours

Plus donc de Vous, mais fêtons toi
Toi fixe à jamais mon hommage
Quelqu’un dira : mais c’est la loi
Je suis mon cœur et non l’usage,
Vous effarouche les amours
Et Toi les ramène toujours.

Ce quatrain a été maintes fois reproduit dans les ouvrages de grammaire qui s’en servaient pour exemplifier l’usage du Vous à la troisième personne du singulier, lorsqu’il est pris substantivement. L’un d’entre eux, publié à Lyon, pouvait être passé entre les mains d’Antoine, peut-être par l’intermédiaire de Magdeleine elle-même puisqu’il s’agissait d’une grammaire à l’usage des dames. Cf. La cantatrice grammairienne…Ouvrage destiné aux Dames…, par Abbé ***, de Grenoble, à Genève, et se trouve à Lyon, 1788, p. 200 : « Cette chanson charmante a été faite à Erménonville, par Mad. de Carl**, qui ayant appris que J. J. Rousseau tutoyait sa femme, exigea que son mari en usât de même à son égard. » Nous avons rétabli les italiques que, bien entendu, Antoine n’a pas reproduites sur son manuscrit. Ce quatrain se trouve dans le dossier 14 ii 028.